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L’EXPÉRIENCE DE L’AMOUR ET DE LA MORT

la vie d’amour. Nous avons vu comment son amour pour Sophie prend aussitôt une nuance religieuse, comment sa vocation familiale se confond avec l’aspiration vers la vie sainte. Et voici que la mort de sa fiancée lui apprend que la vie sainte, la vie d’amour sous sa forme la plus haute ne se réalise pas sur cette terre, dans le royaume du jour, qu’il faut mourir à l’existence terrestre, mourir à soi-même pour connaître les félicités de l’existence supérieure. Les tropes traditionnels au moyen desquels les mystiques ont de tout temps cherché à dire l’extase suprême de l’âme au sein de la Divinité, — l’Amour, la Mort, la Nuit, — ont pris désormais pour Novalis un sens profond. Entre ses lèvres, ils ne sont pas une traduction approximative et conventionnelle de vérités abstraites que pressent l’intelligence ; ils jaillissent comme l’expression nécessaire et immédiate de ses expériences les plus intimes, de cette révélation douloureuse de l’Amour et de la Mort qui vient de lui donner la clé du mystère dernier de l’existence.

Imprégné de mysticisme piétiste par son éducation première et par la lecture de Zinzendorf, se rattachant, par l’intermédiaire du piétisme, à la grande tradition mystique de l’Allemagne qui, née dans les ermitages et les couvents du moyen âge, s’épanouit chez un Eckart, un Suso ou un Tauler, chez les Amis de Dieu ou dans la Théologie alle-