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L’EXPÉRIENCE DE L’AMOUR ET DE LA MORT

présence toute proche, il me semblait qu’elle dût apparaître d’un moment à l’autre ».

Cette extase dont il se borne, dans son journal à noter en quelques traits les prodromes et les phases caractéristiques, il en donne une transcription d’un lyrisme admirable dans son troisième Hymne à la nuit. Tandis que, tel un fantôme de la détresse, l’âme pleine d’angoisse et le cœur vide d’espérance, « solitaire comme jamais il n’y eut de solitaire », il contemplait le tertre où reposait sa bien-aimée et évoquait le souvenir de son bonheur évanoui, soudain il s’est senti, en un frisson divin, « affranchi des liens de la naissance, des chaînes de la lumière » ; il a vu le tertre funéraire s’évanouir en un nuage de poussière, et du sein de ce nuage surgir radieuse et transfigurée l’image de sa fiancée ; la notion du temps s’abolit en lui, « des millénaires s’écoulent dans le lointain comme des orages » ; il goûte les extases infinies de l’amour éternel… Et quand la vision s’est dissipée, la nostalgie de la Nuit entrevue subsiste en lui, « la céleste langueur » ne le quitte plus désormais. Celui qui a goûté à la source cristalline jaillie du sein obscur du tombeau, celui qui a gravi jusqu’au sommet la Montagne de la Vie et a jeté un coup d’œil sur l’autre versant, sur la Terre nouvelle, celui-là ne se mêle plus aux vaines agitations du monde, il se construit une hutte paisible, tout au sommet de la montagne, et il attend