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L’EXPÉRIENCE DE L’AMOUR ET DE LA MORT

et regarde, jusqu’à ce que vienne l’heure bénie qui l’abîmera au sein de la source de vie.

L’extase, en révélant au poète les splendeurs du royaume de la Nuit l’a détaché à jamais du Jour et de ses mirages. La Vie n’a point de magnificences qui puissent prévaloir sur les délices de la Mort. De même que, pour l’idéaliste fichtéen, le moi absolu est le principe du non-moi qui sans lui n’arriverait pas à l’existence, ainsi pour Novalis la Nuit éternelle « porte naturellement en ses bras » le royaume du Jour qui sans elle s’évanouirait en une vaine poussière à travers l’espace infini. Et c’est la Nuit aussi qui a envoyé l’Homme dans le royaume du Jour, — l’Homme par qui l’Univers deviendra conscient de ce qu’il est en son essence. « En vérité, s’écrie le poète, je fus, ô Lumière, avant que tu ne fusses. Moi et ma race, notre mère nous a envoyés vers toi pour habiter ton univers, pour le sanctifier par l’amour, pour donner un sens humain à tes créations ». Et, sans doute, toutes ces pensées divines ne se sont pas encore épanouies ; sans doute l’homme n’a pas encore transformé l’univers à son image. Mais le poète sait à présent qu’un jour luira le dernier matin, que le Soleil, un jour, saisi de nostalgie comme l’âme humaine elle-même, s’éteindra et mourra. Et en attendant l’instant de la suprême libération, le poète, « fidèle à la Nuit et à sa fille la divine puissance de l’Amour », sent déjà