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LE RETOUR À LA VIE

qu’elle fût, l’imagination avait presque autant de part que la réalité. Ce qu’il avait perdu ce n’était pas la compagne de sa vie, c’était une fiancée de rêve, une enfant que sa fantaisie se plaisait à parer de toutes les vertus. On ne meurt pas d’une telle douleur.

Novalis en fit l’expérience. Il ne tarda pas à s’apercevoir qu’il y avait en lui deux moi qui s’accordaient assez mal l’un avec l’autre. L’un, le moi conscient, avait décidé de mourir. Mais l’autre, le Soi, ce sage inconscient dont parle Nietzsche, qui commande à notre corps, qui est notre corps — se souciait peu d’obéir aux injonctions du moi conscient : il prétendait se consoler et jouir de l’existence.

Hardenberg a conté dans son Journal avec cette bonne foi candide qui est sa grande séduction, ce conflit entre ses deux moi. Tantôt il note, non sans satisfaction, les victoires de sa volonté réfléchie. Il s’est senti « ferme et viril », maître de lui, l’intelligence claire, l’âme sereine. Il a pu s’absorber dans le souvenir de sa chère morte, maintenir présente à son esprit sa « résolution » mystique. Il a trouvé une mélancolique douceur à contempler les cadeaux que Sophie a reçus à son dernier anniversaire de naissance, une tasse, une bourse, un flacon. Il a vu en une sorte d’hallucination Sophie, de profil, assise sur le canapé dans une attitude familière, avec le fichu vert qu’elle portait souvent. Il est allé