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THUCYDIDE, LIV. V.

venir aux mains, les commandans de chaque peuple encouragèrent ainsi leurs guerriers : on représentait aux Mantinéens que c’était pour la patrie qu’ils allaient combattre, qu’il s’agissait ou de la domination (après en avoir goûté les douceurs, en seraient-ils dépouillés ?) ou de la servitude (y retomberaient-ils de nouveau ?) ; aux Argiens, qu’il s’agissait de défendre leur ancienne prééminence et cette égalité dont ils avaient joui dans le Péloponnèse, et de punir de nombreuses injures sur des ennemis, leurs voisins ; aux Athéniens, qu’il était beau, en se mesurant avec des alliés nombreux et vaillans, de ne céder à aucun d’eux en vertu ; qu’une fois vainqueurs des Lacédémoniens dans le Péloponnèse, ils affermiraient et accroîtraient leur empire, et mettraient leur territoire à l’abri des ravages. De semblables encouragemens étaient donnés aux Argiens et à leurs alliés. Les Lacédémoniens, et de leur propre mouvement, et aussi selon les usages militaires, s’excitaient à se ressouvenir de cette valeur dont ils avaient la conscience, sachant qu’une longue pratique de belles actions est un moyen plus efficace de salut, que d’éloquentes exhortations d’un moment.

Chap. 70. Bientôt les deux armées s’avancent l’une contre l’autre : les Argiens et leurs alliés, avec impétuosité et fureur ; les Lacédémoniens, lentement et soumis au rhythme d’un grand nombre de joueurs de flûte établis par la loi, non dans un esprit religieux, mais pour régler le pas des soldats et les empêcher de rompre leurs rangs, comme il arrive souvent aux armées nombreuses marchant au combat.

Chap. 71. Au moment d’en venir aux mains, Agis imagina cet expédient. Les soldats, en général, quand ils vont à l’ennemi, se poussent de préférence sur la droite, en sorte que chaque aile droite d’armée déborde la gauche qui lui est opposée. C’est que chacun, pour se garantir, met le plus possible de son côté nu à l’abri du bouclier du soldat placé à sa droite, et croit que cette union immédiate le protége efficacement. L’impulsion est donnée par le soldat placé au premier rang de l’extrémité droite, toujours attentif à dérober à l’ennemi la partie du corps que ne couvre pas le bouclier : le reste de la ligne imite ce mouvement par le même motif. Les Mantinéens dépassaient de beaucoup l’aile qu’occupaient les Scirites ; les Lacédémoniens et les Tégéates dépassaient plus encore celle des Athéniens, parce qu’ils étaient nombreux. Agis, craignant que sa gauche ne fût tournée, s’apercevant que les Mantinéens s’étendaient beaucoup, ordonna aux Scirites et aux troupes de Brasidas de se détacher de leur ligne, de se porter sur la gauche, et de prendre un front égal à celui des Mantinéens, et il commande aux polémarques Hipponoïdas et Aristoclès, qui avaient deux lochos, d’avancer de l’aile droite et de remplir le vide causé par ce déplacement ; persuadé que l’aile droite aurait toujours assez de monde, et que les troupes opposées aux Mantinéens acquerraient ainsi plus de force.

Chap. 72. Cet ordre étant donné dans le moment même et à l’improviste, Aristoclès et Hipponoïdas refusèrent de passer à l’endroit qu’on leur marquait, refus qu’on taxa de lâcheté, et qui, plus tard, fit prononcer contre eux, à Sparte, la peine de l’exil. Il arriva de là que les ennemis furent les premiers à attaquer ; les deux cohortes n’ayant point d’abord passé, à l’ordre d’Agis, du côté des Scirites, il leur devint ensuite impossible de se joindre à eux et de remplir le vide. Mais si, dans ce moment, les Lacédémoniens parurent bien inférieurs en ha-