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XÉNOPHON, LIV. IV.

on regardera comme le meilleur soldat celui qui arrivera le premier sur la rive opposée. »

Les Carduques virent donc qu’il restait peu de troupes ; car beaucoup des soldats qui devaient faire l’arrière-garde l’avaient quittée, les uns pour prendre soin de leurs bêtes de somme, les autres pour veiller sur les esclaves qui portaient leurs bagages, plusieurs pour aller joindre leurs maîtresses. Les Barbares alors marchèrent hardiment aux Grecs, et, avec leurs arcs et leurs frondes, commencèrent à faire des décharges. Les Grecs ayant chanté l’hymne du combat, coururent sur eux. Les Carduques ne les attendirent pas ; car ils étaient armés comme dans leurs montagnes, de façon à charger et à fuir rapidement, mais désavantageusement pour combattre de pied-ferme. Alors la trompette donne le signal. À ce bruit militaire, l’ennemi fuit encore plus vite ; les Grecs font demi-tour à droite, et fuyant de leur côté, à toutes jambes, traversent le fleuve. Quelques Carduques s’en apercevant, revinrent en courant vers le fleuve, et tirèrent des flèches, dont peu de Grecs furent blessés. Mais on voyait encore fuir la plus grande partie des Barbares quand les Grecs furent parvenus à l’autre rive. Les troupes que Chirisophe avait envoyées au secours, emportées par leur courage, et s’étant avancées plus qu’il ne convenait, repassèrent le fleuve après celles de Xénophon, et il y eut aussi parmi elles quelques Grecs de blessés.

Vers midi, l’armée ayant achevé de passer, marcha rangée en bataille dans la plaine d’Arménie, et à travers des collines douces et peu élevées. Elle ne fit pas moins de cinq parasanges, car il n’y avait pas de villages près du fleuve, à cause de la guerre continuelle que se faisaient les Perses et les Carduques : celui où l’on arriva était grand ; il y avait un palais pour le satrape, et la plupart des maisons étaient surmontées de tours. On y trouva des vivres en abondance ; on fit ensuite en deux marches dix parasanges, et on parvint à dépasser les sources du Tigre ; puis en trois marches de quinze parasanges, on arriva aux bords du Téléboas. Ce n’est pas un grand fleuve, mais l’eau en est belle : sur ses rives étaient beaucoup de villages. La partie de l’Arménie où l’on se trouvait alors se nommait l’Arménie occidentale. Téribaze en était commandant ; c’était un favori d’Artaxerxès, et lorsqu’il se trouvait à la cour, nul autre Perse que lui n’aidait le roi à monter à cheval. Il s’approcha de l’armée, suivi de quelque cavalerie, et envoya en avant un interprète annoncer aux chefs qu’il voulait conférer avec eux. Les généraux jugèrent à propos d’écouter ce qu’il avait à leur dire, et s’étant avancés jusqu’à portée d’être entendus de lui, lui demandèrent ce qu’il voulait. Il répondit qu’il s’engagerait par un traité à ne faire aucun mal aux Grecs, pourvu qu’ils ne brûlassent point de maisons dans son gouvernement, et qu’ils se contentassent de prendre les vivres dont ils auraient besoin. Les généraux agréèrent cette proposition, et on fit alliance à ces conditions.

De là on traversa une plaine et l’on fit quinze parasanges en trois marches. Téribaze et son armée côtoyaient celle des Grecs à dix stades environ de distance. On arriva à un palais entouré d’un grand nombre de villages qui regorgeaient de vivres. L’armée ayant campé, il tomba pendant la nuit beaucoup de neige. Le matin on arrêta de cantonner les divisions et les généraux dans différens villages : car on ne voyait d’ennemis nulle part, et la grande quantité de neige semblait ne laisser rien craindre. On y trouva toute