Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/530

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
529
XÉNOPHON, LIV. IV.

gère. Il fut convenu que quand ils seraient maîtres des hauteurs, ils en donneraient le signal en allumant de grands feux. On dîna ensuite. Puis Chirisophe fit avancer toute l’armée à dix stades de là, ou environ, vers l’ennemi, pour faire croire encore plus que les projets d’attaque étaient dirigés de ce côté.

Quand on eut soupé et que la nuit fut venue, le détachement partit, s’empara des hauteurs, et l’armée resta au bivouac où elle se trouvait. Des que l’ennemi s’aperçut que des Grecs avaient gravi sur la montagne, il veilla et alluma, pendant toute la nuit, beaucoup de feux. Lorsqu’il fut jour, Chirisophe, après avoir sacrifié, conduisit l’armée par le grand chemin. Le détachement, maître d’une partie de la montagne et des hauteurs, marcha aux Barbares ; la plus grande partie de ceux-ci restèrent dans leur poste sur la crête du mont : il marcha seulement quelques troupes contre les volontaires grecs. Ces deux détachemens se chargèrent avant que les armées fussent aux mains. Les Grecs eurent l’avantage dans cette mêlée : ils battent et poursuivent les Barbares. Alors les armés à la légère de l’armée grecque courent, de la plaine, contre ceux qui étaient rangés en bataille. Chirisophe suivait le plus vite qu’il pouvait, mais faisant cependant marcher en ordre son infanterie pesante. Le gros des ennemis, posté sur le chemin, voyant son détachement battu sur les hauteurs, prit la fuite ; on en tua beaucoup, et l’on prit une infinité de boucliers à la perse : les Grecs, pour les rendre inutiles, les coupèrent avec leurs sabres. L’armée, après avoir monté, fit un sacrifice, éleva un trophée, et descendant le revers de la montagne, arriva dans une plaine et dans des villages où tout abondait.

On marcha ensuite contre les Taoques, et l’on fit, en cinq marches, trente parasanges. L’armée manqua de vivres ; car les Taoques habitaient des places fortifiées où ils avaient transporté tout ce qui servait à leur subsistance. Enfin l’armée arriva à un lieu où il n’y avait ni villes, ni maisons, mais où beaucoup d’hommes et de femmes s’étaient réfugiés avec leurs bestiaux : Chirisophe le fit attaquer aussitôt. Quand la première division eut été repoussée, une seconde y marcha, puis une autre, et ainsi de suite ; car ce poste n’était pas accessible de tous côtés, ni à beaucoup de troupes à-la-fois ; mais presque tout autour régnait un escarpement à pic. Xénophon étant arrivé avec l’infanterie pesante et les armés à la légère de l’arrière-garde, Chirisophe lui dit : « Vous venez à propos ; il faut forcer ce poste, car si nous n’y réussissons pas, l’armée meurt de faim. »

Ils délibérèrent alors ensemble, et Xénophon demandant ce qui empêchait qu’on ne pénétrât dans ce poste : « Il n’y a d’autre accès, répondit Chirisophe, que celui que vous voyez ; dès qu’on s’y présente et qu’on tente de monter, les Barbares font rouler des pierres du haut de ce rocher élevé, et voilà comment s’en trouvent ceux qui en ont été atteints. » Il lui montra en même temps des Grecs qui avaient les côtes et les cuisses fracassées. « S’ils épuisent leurs pierres, dit Xénophon, y aura-t-il encore quelque obstacle qui nous arrête au passage, ou n’y en aura-t-il plus ? car nous n’apercevons que peu d’hommes dans ce poste, et deux ou trois tout au plus qui soient armés. À peine l’espace périlleux à parcourir est-il d’un plèthre et demi : vous le voyez vous-même ; plus d’un plèthre encore est couvert de gros pins épars, et ni les pierres qu’on lance, ni celles qu’on fait rouler ne blesseraient des

34