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XÉNOPHON, LIV. VI.

Les auteurs de ces troubles accusèrent les généraux d’avoir fait avorter le projet. Les Arcadiens et les Achéens s’assemblèrent séparément du reste de l’armée ; les principaux chefs de cette faction étaient Callimaque Parrhasien, et Lycon d’Achaïe ; ils disaient qu’il était honteux qu’un Athénien, qui n’avait point amené de troupes à l’armée, commandât des Lacédémoniens et des habitans du Péloponnèse ; ils prétendaient que les travaux étaient leur lot, et que d’autres en recueillaient les fruits, quoique ce fût à eux que l’armée dût son salut ; que les Arcadiens et les Achéens y avaient presque seuls contribué ; que le reste des Grecs n’était rien en comparaison d’eux (et effectivement ces deux nations faisaient plus de la moitié des troupes), que s’ils agissaient sensément, ils se sépareraient des autres, se choisiraient eux-mêmes des généraux, feraient route à part, et tâcheraient de s’enrichir en faisant quelque butin : cet avis fut adopté. Tout ce qu’il y avait d’Achéens ou d’Arcadiens dans les divisions de Chirisophe ou de Xénophon, quittèrent ces deux chefs et se réunirent à leurs compatriotes ; puis ils élurent pour généraux dix d’entre eux, et arrêtèrent que ces nouveaux chefs feraient exécuter ce qui serait décidé à la pluralité des voix dans un conseil qu’ils formeraient. Alors tomba le pouvoir suprême de Chirisophe, six ou sept jours après qu’on le lui eut décerné.

Xénophon voulait accompagner ces factieux, et croyait que le salut de l’armée était attaché à ce que chaque division ne prît pas une route différente ; mais Néon lui persuada de marcher séparément d’eux. Ce Grec savait de Chirisophe, que Cléandre, gouverneur de Byzance, avait dit qu’il se rendrait, avec ses galères, au port de Calpé. Néon donna ce conseil à Xénophon, afin qu’eux seuls et leurs divisions profitassent de cette flotte, et s’embarquassent dessus. Chirisophe, dégoûté par ce qui s’était passé, et en ayant conçu de l’humeur contre l’armée, permit à Xénophon de faire tout ce qu’il voudrait. Ce général fut tenté de s’embarquer seul et d’abandonner les troupes ; mais ayant fait un sacrifice à Hercule conducteur, pour savoir s’il lui serait plus avantageux de rester à la tête de la division qu’il commandait, ou de la quitter, ce Dieu lui fit voir dans les entrailles des victimes, qu’il ne devait point se détacher de ses soldats. Ainsi l’armée se sépara en trois corps : les Arcadien et les Achéens faisaient plus de quatre mille cinq cents hommes, tous infanterie pesante. Chirisophe avait sous lui environ quatorze cents hoplites et presque sept cents armés à la légère ; ces derniers étaient lesThraces qu’avait amenés Cléarque. À peu près dix-sept cents hoplites et trois cents armés à la légère formaient la division de Xénophon ; il avait seul de la cavalerie à ses ordres ; elle formait une petite troupe d’environ quarante chevaux.

Les Arcadiens ayant obtenu, des habitans d’Héraclée, des bâtimens de transport, mettent, les premiers, à la voile, pour tomber à l’improviste sur les Bithyniens, et y faire le plus de butin qu’il leur sera possible. Ils descendent au port de Calpé, situé vers le milieu de la Thrace. Chirisophe partit d’Héraclée et marcha à travers l’intérieur du pays ; mais quand il fut entré en Thrace, il regagna les bords de la mer, et continua sa route par terre, côtoyant le rivage ; car il se sentait déjà malade. Xénophon ayant mis à la voile, débarque aux confins de la Thrace et du territoire d’Héraclée, puis s’avance dans le milieu des terres, et suit ainsi le chemin de Calpé.