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XÉNOPHON, LIV. VI.

couvrir successivement par l’armée. Lorsqu’on fut arrivé au chemin qui venait des villages, on y trouva beaucoup de cadavres près l’un de l’autre ; on les transporta tous dans la même place, et on les y couvrit de terre.

Il était plus de midi quand l’armée s’avança au-delà des villages ; les soldats prenaient les vivres qu’ils apercevaient derrière l’étendue de la ligne. Tout-à-coup on découvre l’ennemi, qui avait monté le revers de quelques collines en face des Grecs ; il était sur une ligne pleine, et avait beaucoup de cavalerie et d’infanterie ; car Spithridate et Rhatine étaient arrivés avec un détachement considérable que leur avait donné Pharnabaze. Dès que ces troupes eurent aperçu l’armée, elles s’arrêtèrent à-peu-près à quinze stades d’elle. Arexion, devin des Grecs, sacrifia sur-le-champ, et les entrailles de la première victime promirent le plus heureux succès. Xénophon dit ensuite aux autres généraux : « Je suis d’avis, mes compagnons, de former des lochos en corps de réserve derrière la ligne, afin que s’il est quelque endroit où il soit besoin de secours, ils y courent, et que l’ennemi en désordre trouve des troupes fraîches et formées. » Tous les généraux furent de la même opinion que lui. « Menez donc, leur dit-il, l’armée droit à l’ennemi, afin qu’après l’avoir aperçu et avoir été vus de lui, nous n’ayons pas l’air de faire halte. Je vous joindrai dès que j’aurai formé ces corps subsidiaires, et que je les aurai placés derrière la ligne, comme vous l’avez arrêté. »

Les généraux conduisirent ensuite l’armée au petit pas ; Xénophon ayant pris les trois derniers rangs, qui étaient de deux cents hommes chacun, forma l’un d’eux en un corps, et l’envoya vers l’aile droite pour la suivre à la distance d’un plèthre environ, aux ordres de Samolas, Achéen ; il garda l’autre pour marcher de même derrière le centre, et en donna le commandement à Pyrias, Arcadien ; le dernier fut détaché vers l’aile gauche, et eut pour chef Phrasias, d’Athènes. L’armée avançant toujours, quand ceux qui la conduisaient furent arrivés à un grand vallon dont le passage était difficile, ils firent halte ; car ils ignoraient s’il était possible de le traverser. On appela tous les généraux et les chefs de lochos à la tête de la ligne. Xénophon étonné, ne concevait pas ce qui pouvait arrêter la marche : il entendit bientôt l’invitation, et se porta au front à bride abattue. Quand tous les chefs furent assemblés, Sophénète, le plus âgé des généraux, dit qu’il était impossible de passer un lieu si difficile, et qu’il n’y avait pas sujet à délibération. Xénophon l’interrompit avec précipitation, et parla en ces termes :

« Vous savez, mes compagnons, que je n’ai jamais cherché à vous engager dans un danger inutile. Je vois en vous des hommes qui ont assez fait pour leur gloire et qui ne doivent plus songer qu’à leur salut ; mais voici notre position actuelle : nous ne pouvons reculer d’ici sans combattre ; si nous ne marchons pas à ces troupes, elles nous suivront et nous chargeront dans notre retraite. Considérez s’il vaut mieux aller en avant contre elles les armes présentées, ou faire demi-tour à droite et les voir ensuite sans cesse derrière nous prêtes à nous attaquer. Se retirer devant l’ennemi, vous le savez, n’inspire point de sentimens d’honneur ; mais le poursuivre enhardit les hommes les plus lâches. J’aimerais mieux être à ses trousses avec la moitié moins de troupes que lui que d’être obligé de marcher en arrière avec des forces deux fois plus nombreuses. Je suis persuadé