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XÉNOPHON, LIV. VI.

que vous ne pouvez pas vous-mêmes vous figurer que ces gens nous attendent si nous les chargeons, et vous savez tous qu’ils oseront inquiéter notre retraite s’ils nous voient reculer. Débouchons au-delà de ce vallon presque impraticable ; appuyons-y les derrières de notre ligne. Une telle position ne mérite-t-elle pas que des troupes qui doivent combattre se pressent de l’occuper ? Oui, ce que je désire, c’est que l’ennemi ait tous les chemins ouverts pour sa retraite, et que le local même nous enseigne qu’il n’est pour nous de salut que dans la victoire. Je m’étonne que ce vallon inspire à quelques-uns de vous plus de terreur que tant de passages difficiles qui ne nous ont point arrêtés. Que dis-je ! cette plaine où nous sommes ne sera-t-elle pas fâcheuse à traverser en revenant, si nous n’avons battu la cavalerie que vous voyez ? Comment repasserons-nous les montagnes où il nous a fallu gravir pour parvenir ici, poursuivis par tant d’armés à la légère ? Mais je veux que nous nous retirions sans perte jusqu’à la mer. Le Pont-Euxin n’a-t-il pas une bien autre étendue que ce vallon ? et nous ne trouverons sur ses bords ni bâtimens pour nous embarquer, ni provisions pour y séjourner. Si nous nous empressons de revenir à nos retranchemens, les besoins de la vie nous forceront d’en sortir promptement ; il vaut donc mieux livrer bataille aujourd’hui ayant bien dîné que de combattre demain à jeun. Compagnons, les sacrifices nous annoncent des succès ; le vol des oiseaux nous a donné des augures favorables ; les victimes ne pouvaient être plus belles ; marchons à ces hommes ; il ne faut pas qu’après avoir vu toute notre armée ils soupent à leur aise et marquent leur camp où il leur plaira. »

Tous les chefs de lochos pressèrent alors Xénophon de conduire l’armée, et personne ne s’y opposa. Il se mit donc à la tête après avoir ordonné qu’on traversât le vallon sans se rompre, et chacun marchant droit devant soi. Il présumait qu’ont se trouverait ainsi au-delà plus promptement et plus en force que s’il faisait défiler les Grecs sur un pont qui était au milieu du vallon. Quand on l’eut traversé, Xénophon longea la ligne et tint ce discours : « Soldats, rappelez à votre mémoire toutes les journées où, avec l’aide des Dieux, votre valeur vous a fait triompher, et peignez-vous le sort qui attend ceux qui tournent le dos à l’ennemi ; songez aussi que nous sommes aux portes de la Grèce ; suivez Hercule conducteur et appelez-vous les uns les autres en vous exhortant à vous bien conduire. Que votre langage, que vos actions manifestent votre ardeur : il sera doux de les entendre célébrer par les hommes dont vous désirez les applaudissemens. »

Xénophon dit ces mots en galopant le long du front de la ligne ; il la conduisait tout en parlant, et ayant fait placer sur les deux ailes les armés à la légère, il marcha à l’ennemi. On ordonna de porter la pique sur l’épaule droite jusqu’à ce que la trompette donnât le signal de la charge, de la présenter ensuite, puis de marcher lentement et en ordre, et de ne point courir en poursuivant l’ennemi. On fit alors passer le mot de ralliement : Jupiter sauveur, Hercule conducteur. Les ennemis croyant leur position bonne, attendirent les Grecs ; ceux-ci s’étant approchés, leurs armés à la légère jetèrent les cris du combat, et se mirent à courir avant d’en avoir reçu l’ordre. L’ennemi, tant la cavalerie que le gros d’infanterie Bithynienne, marcha de son côté contre eux et les mit en fuite ; mais la ligne d’infan-