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XÉNOPHON.

quelque chose que tu me demandes, tu ne seras pas refusé. »

Dès qu’Astyage eut cessé de parler, Mandane demanda à Cyrus, lequel il aimait le mieux, de rester ou de s’en retourner. Il répondit aussitôt, sans balancer, qu’il aimait mieux rester. « Eh ! pourquoi, reprit Mandane ? — C’est qu’en Perse, je suis reconnu pour le plus adroit de ceux de mon âge à tirer de l’arc, à lancer le javelot, tandis qu’ici tous l’emportent sur moi dans l’art de monter à cheval ; ce qui m’afflige fort, je te l’avoue. Or, si tu me laisses ici, et que j’apprenne à bien manier un cheval, j’espère qu’à mon retour en Perse, je surpasserai ceux que l’on vante tant dans les exercices à pied ; et revenant en Médie, où je serai devenu le meilleur cavalier, je m’efforcerai de servir mon aïeul à la guerre. — Et la justice, mon fils, comment l’étudieras‑tu ? tes maîtres sont en Perse. — J’en connais à fond les principes. — Qui t’en répond ? — Le témoignage de mon maître ; il me trouvait déjà tellement instruit sur ce point, qu’il m’avait établi juge de mes camarades. Un jour cependant je fus puni très sévèrement, pour avoir mal jugé. Voici l’affaire : un enfant déjà grand, dont la robe était courte, ayant remarqué qu’un autre enfant plus petit avait une longue robe, la lui ôta, s’en revêtit, et lui mit la sienne. Juge de la contestation, je trouvai convenable que chacun d’eux eût la robe qui allait le mieux à sa taille. Le maître me corrigea, et me dit que lorsque j’aurais à prononcer sur la convenance, il faudrait juger comme j’avais fait ; mais puisqu’il s’agissait de décider à qui la robe appartenait, il fallait examiner lequel devait rester possesseur de la robe, ou celui qui l’avait enlevée, ou celui qui l’avait faite ou achetée. Rien de juste, continuait‑il, que ce qui est conforme aux lois : tout ce qui y déroge, est violence. Il voulait donc qu’un juge ne suivît d’autre règle que la loi. D’après ce principe, ma mère, je sais parfaitement ce qui est juste ; et si j’ai encore besoin de leçons, Astyage que voici m’instruira. — Mais, mon fils, les mêmes choses ne sont pas réputées justes en Perse et chez les Mèdes : par exemple, ici le roi s’est rendu maître absolu ; et l’on croit chez les Perses qu’il est de la justice de vivre égaux en droits. Ton père le premier ne fait rien que conformément à la loi, ne reçoit rien au‑delà de ce que la loi détermine ; c’est elle, et non sa volonté, qui règle sa puissance. Songe aux terribles châtiments qui t’accueilleraient à ton retour en Perse, si tu apportais d’ici, au lieu de maximes royales, ces maximes tyranniques, suivant lesquelles un seul veut avoir plus que tous les autres ensemble. — Mais Astyage m’apprendrait plutôt à me contenter de peu, qu’à désirer beaucoup ; vois comme il accoutume les Mèdes à posséder moins que lui. Sois donc assurée que ni moi, ni personne, ne le quitterons avec des idées ambitieuses. » Tels étaient les propos de Cyrus.

Chap. 4. Enfin Mandane partit, et son fils resta en Médie, où il fut élevé. Il eut bientôt fait connaissance et formé des liaisons d’amitié avec les jeunes Mèdes : il se concilia bientôt l’affection des pères, qu’il visitait quelquefois, et qui voyaient sa bienveillance pour leurs fils ; de sorte que s’ils avaient quelque grâce à demander au roi, ils les chargeaient d’engager Cyrus à la solliciter. De son côté, Cyrus, généreux, et sensible à la gloire d’obliger, n’avait rien plus à cœur que d’obtenir ce qu’ils désiraient : et quelque chose qu’il demandât, Astyage ne pouvait se résoudre à le refuser. Dans le cours d’une maladie, son petit‑fils ne l’avait pas quitté ; il n’avait cessé de pleurer, et de montrer combien il craignait