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LA CYROPÉDIE, LIV. I.

pour la vie de son aïeul. La nuit, Astyage avait‑il besoin de quelque chose, Cyrus s’en apercevait le premier, il était debout avant tous les autres, pour le servir dans ce qu’il croyait lui être agréable ; ce qui lui avait entièrement gagné le cœur d’Astyage. Cyrus aimait peut‑être trop à parler ; mais ce défaut venait en partie de son éducation. Son gouverneur l’obligeait de lui rendre compte de ce qu’il faisait, et d’interroger ses camarades, lorsqu’il jugeait leurs différens ; d’ailleurs il questionnait beaucoup ceux avec qui il se trouvait : lui faisait‑on des questions, la vivacité de son esprit lui fournissait de promptes reparties. La réunion de ces différentes causes l’avait rendu grand parleur. Mais comme dans les adolescens qui ont pris de bonne heure leur croissance, on remarque un certain air enfantin qui décèle leur âge, de même le babil de Cyrus annonçait, non la présomption, mais une simplicité naïve jointe au désir de plaire : aussi aimait‑on mieux l’entendre parler beaucoup, que de le voir silencieux. Lorsqu’en croissant il eut atteint l’âge qui conduit à la puberté, il parla moins et d’un ton plus modéré ; il devint si timide, qu’il rougissait dès qu’il se trouvait avec de plus âgés que lui. Il ne cherchait plus, comme les jeunes chiens, à jouer indistinctement avec tous ceux qu’il rencontrait : plus posé, il devint aussi tout-à-fait aimable dans la société.

À l’égard des exercices où les jeunes gens se provoquent l’un l’autre, il défiait ses camarades, non dans ceux où il excellait, mais dans les choses où il connaissait leur supériorité, ajoutant qu’il l’emporterait sur eux. Ainsi, quoiqu’il ne fût pas encore ferme à cheval, il y montait le premier pour lancer le javelot ou tirer de l’arc, et il était le premier à rire de sa maladresse, quand il était vaincu. Comme, loin de se rebuter des exercices où il avait du désavantage, il s’y opiniâtrait au contraire pour acquérir ce qui lui manquait, il égala bientôt ceux de son âge dans l’art de l’équitation ; bientôt même, à force d’application, il les surpassa. En peu de temps il eut détruit toutes les bêtes du parc, en les forçant, en les tuant à coups de flèche ou de javelot, au point qu’Astyage ne savait plus où lui en trouver. Cyrus voyant que son aïeul, avec la meilleure volonté, ne pouvait lui procurer des bêtes fauves : « Pourquoi, grand‑papa, te donner tant de peine à m’en chercher ? Si tu me laissais aller à la chasse avec mon oncle, toutes celles que je verrais, je croirais que tu les élèves pour moi. » Il désirait passionnément de chasser hors du parc, mais il n’osait presser le roi comme dans son enfance ; déjà même il le visitait avec plus de réserve. Autrefois il se plaignait de ce que Sacas lui défendait l’entrée : devenu depuis pour lui‑même un autre Sacas, il ne se présentait point qu’il ne sût si le moment était favorable. Il priait instamment Sacas, de l’avertir quand il était à propos ou non d’entrer, en sorte que Sacas, comme tous les autres, l’affectionnait extrêmement.

Cependant Astyage s’apercevant qu’il brûlait de chasser hors du parc, lui permit d’accompagner son oncle, et lui donna des gardes à cheval, d’un âge mûr, qu’il chargea de lui faire éviter les lieux difficiles, et de le garantir de l’attaque des animaux féroces. Cyrus se hâta de demander à ceux qui l’accompagnaient, quelles étaient les bêtes dont l’approche est dangereuse, quelles étaient celles qu’on peut poursuivre sans crainte. « Il en a coûté la vie à plus d’un chasseur, répondirent‑ils, pour avoir vu de trop près les ours, les lions, les sangliers, les léopards : mais les cerfs, les chevreuils, les ânes, les brebis sauvages, ne font aucun mal. » Ils lui disaient en-