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LA CYROPÉDIE, LIV. I.

dépend de vous de nous servir ? » Ce propos piqua Cyrus : il les quitta sans répliquer ; et après s’être excité lui‑même à prendre de la hardiesse, et avoir réfléchi sur le moyen de faire consentir Astyage, sans le fâcher, à la demande de ses camarades et à la sienne, il entra et lui tint ce discours :

« Seigneur, si un de tes esclaves s’était enfui, et que tu l’eusses repris, comment le traiterais‑tu ? — Je le condamnerais à travailler chargé de chaînes. — Et s’il revenait de lui‑même ? — J’ordonnerais qu’on le fouettât, afin qu’il ne retombât pas dans la même faute ; après quoi, je me servirais de lui comme auparavant. — Prépare‑toi donc à me fouetter ; car j’ai le projet de m’enfuir avec mes camarades, pour aller à la chasse. — Tu as bien fait de m’en prévenir : je te défends de sortir du palais. Il serait beau que j’eusse enlevé à ma fille son enfant, pour en faire mon pourvoyeur. » Cyrus obéit, resta ; mais triste, morne et sans proférer une parole. Astyage le voyant dans cet excès d’abattement, le mène à la chasse ; il avait rassemblé, outre les jeunes Mèdes, quantité de cavaliers et de fantassins, et ordonné qu’on lançât les bêtes fauves vers les lieux accessibles aux chevaux. Il y eut donc une grande chasse, où il parut avec une pompe royale. Il défendit à tous les chasseurs de frapper aucun animal, avant que Cyrus fût las d’en tuer. Mais le jeune prince le pria de lever cette défense : « Si tu veux, seigneur, que j’aie du plaisir, permets à tous mes camarades de poursuivre, et de disputer d’adresse entre eux. » Astyage le permit, et se plaça dans un endroit d’où il considérait les chasseurs, qui tantôt attaquaient les bêtes à l’envi, tantôt les poursuivaient et les atteignaient de leurs dards : il aimait à voir Cyrus, ne pouvant se taire dans l’excès de sa joie, mais semblable à un chien courageux, redoublant ses cris aux approches de sa proie, encourageant les chasseurs, appelant chacun par son nom. Il se réjouissait de l’entendre plaisanter les uns sur leur maladresse, féliciter les autres de leurs succès, sans en être jaloux. Après la chasse, qui fut heureuse, Astyage s’en alla ; mais il s’y était tellement diverti, qu’il y retourna, dans ses momens de loisir, accompagné de son petit‑fils, des jeunes Mèdes, par égard pour lui, et de beaucoup d’autres chasseurs. Cyrus passait ainsi la plus grande partie de son temps ; il divertissait et obligeait tout le monde, sans nuire à personne.

Il avait quinze ou seize ans, lorsque le fils du roi d’Assyrie, qui était sur le point de se marier, voulut aussi faire une chasse. Ce prince, ayant ouï dire qu’il y avait quantité de bêtes fauves dans la partie des états de son père, qui avoisinait la Médie, où l’on n’avait point chassé pendant la guerre précédente, choisit ce canton. Pour la sûreté de sa personne, il prit avec lui des cavaliers et des peltastes, qui, des bois, devaient lancer le gibier dans la plaine. Arrivé auprès des forteresses défendues par des garnisons, il se fit préparer à souper, comme devant chasser le lendemain. Sur le soir, arrivèrent de la ville voisine, des cavaliers et des fantassins, pour relever la garde. La jonction de ces deux gardes, réunies à son escorte, lui parut former une grande armée. Aussitôt il prend la résolution d’aller piller la Médie : cette expédition, selon lui plus honorable qu’une chasse, lui procurerait pour les sacrifices un plus grand nombre de victimes. Dès la pointe du jour il met son armée en mouvement ; il laisse son infanterie en bataille sur la frontière, et s’avance, à la tête de sa cavalerie, vers les forteresses des Mèdes. Pendant que plusieurs déta-