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LA CYROPÉDIE, LIV. II.

par la discipline : et comme tu fais tout au double, il est juste de t’offrir un double repas. — Apparemment, reprit le taxiarque, ce ne sera pas le même jour, à moins que vous ne nous donniez un double estomac. » Après cette conversation, l’on se sépara. Cyrus invita, comme il l’avait dit, cette compagnie à souper, tant pour le lendemain que pour le jour suivant : témoins de cette faveur, toutes les autres s’empressèrent de l’imiter.

Chap. 4. Un jour que Cyrus faisait la revue de son armée, et qu’il la rangeait en bataille, un envoyé de Cyaxare vint lui annoncer des ambassadeurs du roi des Indes ; qu’il se rendît donc incessamment auprès de son oncle. « Je vous apporte, ajouta l’envoyé, de beaux vêtemens de la part du roi : il veut vous présenter dans la plus grande magnificence aux Indiens, qui ne manqueront pas de remarquer l’ajustement sous lequel vous paraîtrez. » Cyrus ordonne sur-le-champ au premier taxiarque de se mettre à la tête de sa compagnie, et de la ranger sur une seule file à la droite de l’armée, lui recommandant de faire passer ce même ordre au second taxiarque, et du second à tous les autres successivement jusqu’au dernier. L’ordre fut aussitôt exécuté que donné : en un instant l’armée se trouva disposée sur trois cents hommes de front (car il y avait autant de taxiarques), et sur cent de hauteur. Cette disposition faite, Cyrus se mit à la tête, leur ordonna de le suivre, et partit en doublant le pas. Mais bientôt observant que le chemin qui conduisait au palais était trop étroit pour trois cents hommes de front, il commanda aux dix premières compagnies, qui formaient ensemble mille hommes, de le suivre, dans l’ordre où elles se trouvaient, aux dix autres de se mettre à la queue des premières, et ainsi de dix en dix. Comme il continuait à marcher ainsi à la tête de l’armée, sans s’arrêter, chaque troupe de mille hommes suivant de près celle qui la précédait, il envoya deux aides-de-camp à l’entrée du chemin, pour avertir de ce qu’il fallait faire, ceux qui l’ignoraient. Lorsqu’on fut proche du palais, il ordonna au premier taxiarque de ranger sa compagnie sur douze de hauteur, de manière que les douzainiers formassent la première ligne, du côté du palais : il lui enjoignit de faire passer cet ordre au second capitaine ; ainsi de proche en proche, à tous les autres ; ce qui fut exécuté. Cyrus se rendit alors auprès de Cyaxare, avec son habillement perse, que ne déshonorait aucun faste étranger. Si le roi fut flatté de sa diligence, ce ne fut pas sans chagrin qu’il le vit grossièrement vêtu. « À quoi penses-tu, lui dit-il, de te présenter en cet état devant les Indiens ? Je désirais que tu parusses dans le plus grand éclat : j’eusse été flatté que l’on vît le fils de ma sœur dans toute sa magnificence. — Cyaxare, si je m’étais habillé de pourpre, paré de colliers, chargé de bracelets, et qu’avec cela j’eusse tardé à venir, vous aurais-je donc fait tant d’honneur ? Mon empressement à vous montrer des troupes aussi bien disciplinées que nombreuses ; ma prompte et respectueuse obéissance, la soumission de mes soldats à vos ordres, la sueur qui coule de mon front, ne sont-ils pas pour vous comme pour moi la plus riche des parures ? » Le roi sentant la justesse de cette réponse, ordonna qu’on introduisit les Indiens.

Lorsqu’ils furent entrés : « Nous venons, dirent-ils, de la part du roi des Indes, pour te demander quel est le sujet de la guerre entre les Assyriens et les Mèdes. Nous sommes chargés d’aller, quand nous saurons ta réponse, faire la même question au roi d’Assyrie ; enfin, de vous notifier à l’un et à l’autre,

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