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LA CYROPÉDIE, LIV. V.

partit Cyrus, puisque les Dieux, d’accord avec toi, ne m’y invitent pas seulement, mais qu’ils m’en font un devoir. Je m’estime heureux de laisser nos alliés tranquilles possesseurs de ce château. Pour toi, Gadatas, si le roi d’Assyrie t’a privé, comme on le dit, de la faculté d’avoir des enfans, il ne t’a pas ôté celle de te faire des amis : crois que ton action t’en assure à jamais ; et tu trouveras en nous, autant que nous le pourrons, les mêmes secours que si tu avais des fils et des petits-fils. »

Comme il parlait encore, le prince hyrcanien, informé de ce qui s’était passé, accourut, et lui prenant la main droite : « Ô trésor de tes amis ! s’écria-t-il, ô Cyrus ! combien tu me rends redevable envers les Dieux qui m’ont ménagé ton alliance ! — Va, repartit Cyrus, prendre possession de cette place qui m’attire de ta part ces témoignages d’affection ; gouverne-la de manière que cette conquête soit précieuse à ta nation, à nos alliés, surtout à Gadatas, à qui nous la devons et qui nous l’abandonne. — Ne serait-il pas à propos, reprit l’Hyrcanien, à l’arrivée des Cadusiens, des Saces et de mes compatriotes, d’indiquer une assemblée à laquelle Gadatas serait invité, afin que tous les intéressés à la conservation de cette forteresse avisent ensemble aux moyens d’en tirer le meilleur parti ? » Cyrus approuva cette idée : on s’assembla ; il fut décidé que la forteresse serait gardée en commun par les peuples à qui il importait de la conserver ainsi pour leur servir à-la-fois de place d’armes et de rempart contre les Assyriens. Cet événement fit que les Cadusiens, les Saces et les Hyrcaniens s’engagèrent dans cette guerre avec plus d’ardeur et en plus grand nombre. Les premiers fournirent environ vingt mille peltastes et quatre mille cavaliers ; les Saces, dix mille archers à pied, et deux mille à cheval. Les Hyrcaniens donnèrent autant d’infanterie qu’ils purent, et complétèrent leurs corps de cavalerie à deux mille hommes : jusque-là ils avaient été obligés d’en laisser la plus grande partie dans leur pays pour le défendre contre les Cadusiens et les Saces, ennemis des Assyriens. Pendant le séjour que Cyrus fit devant la forteresse pour assurer sa conquête, un grand nombre d’Assyriens, dont les habitations étaient peu éloignées, s’empressèrent, ou d’amener leurs chevaux, ou d’apporter leurs armes, dans la crainte des peuples voisins.

Sur ces entrefaites, Gadatas vint trouver Cyrus, et lui dit qu’il recevait la nouvelle que le roi d’Assyrie, indigné de la prise du château, se préparait à faire irruption sur ses terres. « Si tu me permets de m’en aller, ajouta-t-il, je tâcherai de défendre mes places fortes : le reste m’intéresse moins. — En partant tout-à-l’heure, reprit Cyrus, quand arriveras-tu chez toi ? — Dans trois jours je puis y souper. — Et crois-tu que l’Assyrien soit sitôt prêt à t’attaquer ? — Je n’en doute pas ; il se hâtera d’autant plus qu’il te voit encore éloigné de mes états. — Combien donc me faudrait il de temps pour m’y rendre ? — Seigneur, comme ton armée est nombreuse, tu ne peux arriver en moins de six ou sept jours de marche. — Pars sans différer, reprit Cyrus : je ferai la plus grande diligence qu’il me sera possible. »

Dès que Gadatas fut parti, Cyrus assembla les chefs des alliés, qui, pour la plupart, se montraient pleins d’ardeur, et leur tint ce discours : « Généreux alliés, Gadatas a exécuté une entreprise dont nous avons tous senti l’importance ; et cela, sans que nous eussions encore rien fait pour lui. On apprend aujourd’hui que le roi d’As-

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