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XÉNOPHON.

parmi vous tremble, parce qu’on nous dit que l’ennemi rassemble ses troupes ; et que vous ne soyez pas remplis de confiance, en voyant maintenant, que nous sommes et plus nombreux et, grâce au ciel, en bien meilleur état que lorsque nous les avons défaits. Grands dieux ! où en seriez-vous donc, vous que la crainte abat, si l’on vous annonçait qu’une armée telle que la nôtre, marche contre nous ? Vous entendriez dire premièrement : Les mêmes ennemis qui vous ont déjà vaincus, enflés de leur premier succès, reviennent vous attaquer. On vous dirait ensuite : Ceux qui ont mis en fuite vos archers et vos gens de trait, arrivent avec un renfort considérable de troupes qui ne leur cèdent point en bravoure. Leur infanterie, pesamment armée, mit la vôtre en déroute ; aujourd’hui leur cavalerie, armée de même, va se mesurer avec la vôtre : ce n’est ni avec l’arc et le dard, ni de loin, que chaque cavalier prétend combattre, mais de près, et un redoutable javelot en main. Ils ont des chars construits non pour fuir comme autrefois, mais pour se faire jour à travers les bataillons. Les chevaux qui les tirent, sont bardés ; les cochers, placés dans des tours de bois, ont le casque en tête, et la partie de leur corps qui excède la hauteur du siége, est couverte d’une cuirasse : les essieux sont armés de longues faux de fer : d’ailleurs ils ont des chameaux montés par des soldats, et dont un seul peut épouvanter cent chevaux ; enfin ils traînent à leur suite des tours, du haut desquelles, en protégeant les leurs, ils vous accableront de traits, et vous mettront hors d’état de leur résister en rase campagne. Si on était venu vous apporter ces nouvelles de la situation des ennemis, qu’auriez-vous fait, vous qui tremblez lorsqu’on vous annonce que Crésus est élu leur général, Crésus, plus lâche que pas un des Syriens, puisque, dès qu’il vit leur déroute, il ne songea qu’à fuir, au lieu de les défendre, tandis que les Syriens n’ont fui qu’après avoir été battus ? De plus, on annonce que ces ennemis ne sont pas en état de se défendre contre nous ; qu’ils soudoient des étrangers, dans l’espérance qu’ils combattront plus vaillamment pour eux qu’ils ne le feraient eux-mêmes. Si, malgré cet exposé fidèle, quelqu’un trouve leurs forces redoutables, et se défie des nôtres, je suis d’avis qu’on le leur envoie, il nous servira beaucoup plus étant avec eux que restant parmi nous. »

Ce discours fini, le perse Chrysante se leva, et dit : « Ne sois pas étonné, seigneur, si quelques-uns d’entre nous ont paru tristes en écoutant les nouvelles des Indiens ; c’était l’effet du dépit, non de la crainte. Imagine des gens qui veulent dîner, qui se croient à l’heure du repas, et à qui l’on vient demander un ouvrage avant de se mettre à table ; certes, cette annonce ne leur fera nul plaisir. Voilà notre position. Nous pensions n’avoir plus qu’à nous enrichir des dépouilles des ennemis, lorsque nous avons appris qu’il nous restait encore une entreprise à terminer : nous avons alors ressenti un chagrin causé non par l’effroi, mais par le désir qu’elle fût déjà exécutée. Oui, puisqu’il s’agit de combattre non seulement pour la Syrie, fertile en blés, en bétail, en palmiers chargés de fruits, mais encore pour la Lydie, pays abondant en vin, en figues, en huile, et baigné d’une mer qui apporte plus de richesses qu’on en peut désirer ; loin