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LA CYROPÉDIE, LIV. VIII.

travailler pour ses propres intérêts, que de s’occuper de ceux de son frère. Qui plus qu’un frère sera honoré de l’illustration de son frère ! par qui un homme constitué en dignité sera-t-il plus révéré que par son frère ? est-il quelqu’un qu’on craigne plus d’offenser que celui dont le frère est puissant ?

Que personne donc ne soit plus prompt que toi, Cambyse, à servir le tien, et n’aille plus courageusement à son secours, puisque sa bonne et sa mauvaise fortune te touchent de plus près que nul autre. Examine d’ailleurs de qui tu pourrais espérer plus de reconnaissance pour tes bienfaits, que de la part d’un frère ? Qui, après t’avoir appelé à son secours, te seconderait plus vaillamment ? Est-il quelque autre homme qu’il soit plus honteux de ne pas aimer, et plus louable d’honorer ? En un mot, Cambyse, ton frère est le seul qui puisse occuper, sans exciter l’envie, la première place auprès de toi.

Je vous conjure donc, mes enfans, au nom des dieux de notre patrie, d’avoir des égards l’un pour l’autre, si vous conservez quelque désir de me plaire : car je ne m’imagine pas que vous regardiez comme certain, que je ne serai plus rien quand j’aurai cessé de vivre. Mon âme a été jusqu’ici cachée à vos yeux ; mais à ses opérations, vous reconnaissiez qu’elle existait. N’avez-vous pas remarqué de même de quelles terreurs sont agités les homicides, par les âmes des innocens qu’ils ont fait mourir, et quelles vengeances elles tirent de ces impies ? Pensez-vous que le culte qu’on rend aux morts se fût constamment soutenu, si l’on eût cru leurs âmes destituées de toute puissance ? Pour moi, mes enfans, je n’ai jamais pu me persuader que l’âme qui vit tant qu’elle est dans un corps mortel, s’éteigne dès qu’elle en est sortie ; car je vois que c’est elle qui vivifie ces corps destructibles, tant qu’elle les habite. Je n’ai jamais pu non plus me persuader qu’elle perde sa faculté de raisonner au moment où elle se sépare d’un corps incapable de raisonnement, il est naturel de croire que l’âme, alors plus pure, et dégagée de la matière, jouit pleinement de son intelligence. Quand un homme est mort, on voit les différentes parties qui le composaient se rejoindre aux élémens auxquels elles appartiennent : l’âme seule échappe aux regards, soit durant son séjour dans le corps, soit lorsqu’elle le quitte.

Vous savez que c’est pendant le sommeil, image de la mort, que l’âme approche le plus de la divinité, et que dans cet état, souvent elle prévoit l’avenir, sans doute parce qu’alors elle est entièrement libre. Or si les choses sont comme je le pense, et que l’âme survive au corps qu’elle abandonne, faites, par respect pour la mienne, ce que je vous recommande : si je suis dans l’erreur, si l’âme demeure avec le corps et périt avec lui, craignez du moins les dieux, qui ne meurent point, qui voient tout, qui peuvent tout, qui entretiennent dans l’univers cet ordre immuable, inaltérable, invariable, dont la magnificence et la majesté sont au-dessus de l’expression. Que cette crainte vous préserve de toute action, de toute pensée qui blesse la piété ou la justice. Après les dieux, craignez les hommes et les races à venir. Comme les Dieux ne vous ont pas cachés dans l’obscurité, toutes vos actions seront vues : si elles sont pures et conformes à la justice, elles affermiront votre autorité ; mais si