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ARRIEN, LIV. V.

office de capitaine, mais encore de soldat. Lorsqu’il vit le carnage de sa cavalerie, la mort ou le désordre de ses éléphans et la perte presque totale de son infanterie, il n’imita point la lâcheté du grand roi qui prit le premier la fuite aux journées d’Issus et d’Arbelles, il combattit tant qu’il vit donner quelques-uns des siens. L’excellence et la force de sa cuirasse avaient constamment résisté aux coups, mais enfin blessé d’un trait à l’épaule droite qu’il avait nue, il se retirait sur son éléphant.

Alexandre désirant sauver ce héros, lui députe l’Indien Taxile. Celui-ci ayant poussé son cheval sans trop s’approcher de l’éléphant de Porus, lui crie d’arrêter et d’accueillir l’offre d’Alexandre, auquel il ne peut plus échapper. Mais Porus à la vue de Taxile, son ancien ennemi, saisissant un trait, allait le percer, si celui-ci ne l’eût évité par la vitesse de sa fuite.

Alexandre, loin d’en être plus irrité contre Porus, lui détache de nouveaux envoyés, parmi lesquels se trouvait l’Indien Méroë, ancien ami de Porus. Ce dernier l’écoute ; pressé par une soif ardente, il descend de son éléphant, et après s’être rafraîchi, consent à se rendre près d’Alexandre.

Ce prince à son approche sort des rangs, et vient à sa rencontre accompagné de quelques Hétaires. Il s’arrête, il contemple la noblesse de ses traits, la hauteur de sa taille qui s’élevait à plus de cinq coudées. Porus s’approche avec une contenance assurée ; sa physionomie n’est point abattue par sa disgrâce ; héros, il vient trouver un héros ; prince, il a défendu contre un autre ses États. Alors Alexandre : « Comment prétendez-vous que je vous traite ? — En roi. — Je le ferai pour moi-même ; à présent que puis-je faire pour vous ? parlez. — J’ai tout dit ? — Je vous rends le pouvoir et votre royaume, et j’y ajouterai encore. »

C’est ainsi qu’il traita en roi un prince généreux qui fut dans la suite son ami le plus fidèle.

Ces événemens eurent lieu au mois de munichion, Hégémon étant Archonte à Athènes.

Chap. 5. Alexandre bâtit deux villes, l’une à l’endroit où il avait passé le fleuve, et l’autre sur le champ de bataille. Il donna à la dernière le nom de Nicée, et celui de Bucéphalie à la première, en mémoire du coursier qu’il montait.

Bucéphate y mourut moins de ses blessures que de fatigue et de vieillesse. En effet, il avait alors trente ans ; il avait partagé les travaux, les périls d’Alexandre, et l’avait sauvé de plusieurs ; il ne se laissait monter que par lui, il était plein de feu, haut de taille, poil noir ; remarquable selon les uns par une tête où il y avait quelque chose de celle du bœuf, ou plutôt, selon les autres, par une tache blanche au front, soit naturelle, soit artificielle, et qui affectait cette forme : de là lui vient son nom. Alexandre, l’ayant un jour perdu chez les Uxiens, fit publier qu’il les taillerait tous en pièces s’ils ne lui ramenaient son cheval. Tel était l’excès et de la passion du conquérant pour cet animal, et de la crainte que le premier inspirait, qu’on lui obéit aussitôt. Je ne suis descendu à ces détails, que parce qu’ils sont liés à l’histoire d’Alexandre.

Il fait rendre les derniers honneurs aux guerriers morts, offre aux Dieux des sacrifices en actions de grâces ; ordonne des jeux gymniques et équestres sur les bords de l’Hydaspe. Il y laisse Cratérus avec une partie des troupes pour élever les villes dont il venait d’arrêter le plan, et marche contre les In-