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ARRIEN, LIV. VII.

beaucoup plus bas que celui de l’Euphrate, recueille plusieurs épanchemens de ce dernier, et grossi du tribut d’autres fleuves qu’il reçoit, va se décharger dans le golfe Persique. Profond, resserré par la hauteur de ses bords qui ne lui permet point d’en sortir, enflé par des eaux qu’il ne perd pas, il n’est guéable sur aucun de ses points.

L’Euphrate, au contraire, plus élevé, inonde les terres à la hauteur desquelles il se trouve ; il est partagé naturellement ou artificiellement en plusieurs ruisseaux ; quelques-uns ne sont que des saignées pratiquées par les riverains à certaines époques de l’année, pour suppléer aux bienfaits des pluies rares dans ces contrées. Voilà pourquoi l’Euphrate est moins pur et moins considérables à la fin de son cours.

Alexandre remonte le Tigre jusqu’à l’endroit où Héphæstion, campé sur ses bords, l’attendait avec son armée. Il continue sa navigation vers Opis, fondée sur les rives du fleuve ; il fait briser toutes les digues que les Perses, assez mauvais marins, avaient construites pour se garantir d’une attaque par mer, et pour interdire, en ce cas, à l’ennemi, la navigation du Tigre. « Ce moyen de défense, dit Alexandre, ne convient qu’à des hommes qui ne savent point manier les armes. » Effectivement cette défense était misérable, il la fit détruire en un instant.

Chap. 3. Arrive à Opis, Alexandre rassemble les Macédoniens, leur annonce qu’il licencie tous ceux que l’âge ou leurs blessures rendent inhabiles au combat : qu’ils peuvent enfin retourner dans leurs familles ; mais qu’il comblera de telles libéralités ceux qui voudront rester auprès de lui, que ces bienfaits seront un motif d’envie pour ceux qui se seraient retirés, et d’enthousiasme pour les autres Macédoniens qu’ils exciteraient à partager de si glorieux travaux.

Ce qu’Alexandre disait pour flatter les Macédoniens, ne fut interprété que comme l’expression du mépris : « Il nous croit inhabiles aux combats. » L’indignation s’enflamme à l’idée de cet outrage. On renouvelle tous les anciens reproches ; qu’il a emprunté les mœurs et le vêtement des Perses, donné aux Épigones l’armure macédonienne ; mélangé le corps des Hétaires d’une foule de Barbares. On éclate : « Nous voulons tous être licenciés ; que le Dieu dont il descend combatte pour lui. » Ils faisaient allusion à son Jupiter Ammon.

À ces mots Alexandre furieux, car son caractère, ennemi de la résistance, exalté encore par la servitude des Barbares, ne se modérait plus à l’égard des Macédoniens, se précipite de son siége, suivi des officiers qui l’entouraient, donne l’ordre d’arrêter les chefs de l’émeute, les désigne lut-même aux Hypaspistes : treize sont arrêtés, et traînés sur-le-champ au supplice ; la multitude épouvantée se tait ; il remonte à sa place, et leur parle en ces termes :

« Ce n’est point pour vous retenir, Macédoniens : je vous ai laissés libres de partir ; c’est pour vous rappeler tout ce que vous avez contracté d’obligations et le retour dont vous les avez payées, que je vous adresse la parole. Commençons, ainsi qu’il est convenable, par Philippe, mon père. Philippe, ayant trouvé vos hordes errantes, sans asile fixe, dénuées de tout, couvertes de peaux grossières, faisant paître dans les montagnes de misérables troupeaux que vous disputiez avec peu de succès aux Illyriens, aux Triballiens, aux Thraces voisins, vous revêtit de la chlamyde, vous fit descendre des montagnes dans la plaine, vous rendit,