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ARRIEN, LIV. VII.

cune information, après que vous aviez reçu une solde et un butin considérables. Quelques-uns ont été honorés de couronnes d’or, monumens de leur courage et de la générosité qui sait le reconnaître. Si plusieurs ont péri dans les combats, car aucun sous mes ordres n’a pris la fuite, je leur fais ériger sur la place un tombeau remarquable, et dans leur patrie des statues d’airain ; j’ai accordé des distinctions à leurs familles, et une exemption d’impôts. Je voulais renvoyer dans leurs foyers tous ceux qui sont hors d’état de service, mais comblés de tant d’honneurs et de richesses, que leurs concitoyens auraient porté envie à leur félicité. Vous demandez tous à partir, partez ; allez annoncer que votre roi, qu’Alexandre, après avoir soumis les Perses, les Mèdes, les Bactriens, les Saques, les Uxiens, les Arachotes, les Drangues ; lui qui assujettit les Parthes, les Chorasmiens, les Hyrcaniens jusqu’à la mer ; lui qui franchit le Caucase, les Pyles caspiennes, l’Oxus, le Tanaïs, l’Indus que le seul Dionysus avait traversé, l’Hydaspe, l’Acésinès, l’Hydraotès ; et qui aurait passé l’Hyphasis même, si vous n’aviez refusé de le suivre ; lui qui s’avança dans la grande mer par les deux embouchures de l’Indus, qui s’enfonça dans les déserts de la Gédrosie, d’où personne n’était encore sorti avec une armée ; lui qui, après avoir soumis dans sa route la Carmanie et le pays des Oritiens, fit remonter sa flotte depuis l’Indus jusqu’au centre de la Perse ; qu’Alexandre enfin, abandonné par vous, s’est remis à la foi des Barbares qu’il avait vaincus, annoncez-le à vos concitoyens ; quelle gloire pour vous auprès des hommes ! quel mérite auprès des Dieux ! partez. »

À ces mots, il s’élance hors de son siége, se précipite dans sa tente, et refuse, pendant deux jours, de voir ses plus intimes amis, et même de prendre soin de lui-même.

Le troisième jour, ayant convoqué les principaux des Perses, il leur partagea le commandement de ses troupes, n’accordant la faveur de l’embrasser qu’à ceux qui lui étaient alliés.

D’abord les Macédoniens ébranlés et stupéfaits gardèrent un sombre silence. Aucun d’entre eux n’avait suivi Alexandre, à l’exception de ses Hétaires et des Somatophylax. Ils ne savaient s’ils devaient parler, se taire, partir ou demeurer : mais aussitôt qu’ils eurent connu sa résolution à l’égard des Perses, qu’il leur avait donné le commandement, distribué des Barbares dans ses troupes, que les compagnies des Hétaires à pied et à cheval, les Argyraspides et l’Agéma, n’étaient plus formés que de Persans, que les Persans prenaient leur nom et leur place ; ils ne purent se contenir ; ils se précipitent en foule vers la tente d’Alexandre, jettent sur le seuil leurs armes qui semblent devoir supplier pour eux ; et se tenant près de l’entrée, ils crient de toutes parts qu’on les introduise, qu’ils livreront les auteurs du trouble, qu’ils resteront là jour et nuit jusqu’à ce qu’ils aient touché le cœur d’Alexandre. Le roi s’avance alors ; à l’aspect de leur humiliation et de leur douleur, touché de leur désolation profonde, il mêle ses larmes aux leurs.

Les Macédoniens conservaient l’attitude de supplians, et il allait parler, lorsque Callinès, aussi recommandable par son âge que par le rang qu’il occupait à la tête des Hétaires, s’écria : « Vous contristez les Macédoniens, prince, en vous alliant aux Perses, en nommant les Perses votre famille, en