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POLYBE, LIV. XXXIV.

tels que les dauphins, les chiens et les autres cétacés ; et c’est, dit-on, de cette proie que s’engraissent les espadons et les chiens du genre des galiotes. En cet endroit, comme sur les bords du Nil et des autres fleuves sujets à des crues, il arrive la même chose qu’à un incendie de forêt, où une foule d’animaux, pour échapper, soit à la flamme, soit à l’eau, devient la proie du plus fort. » Polybe conte ensuite comment se pêchent les galiotes près du Scyllæon. « Un observateur commun dirige tous les pêcheurs stationnés deux à deux sur différentes barques birèmes ; l’un rame, l’autre se tient à la proue, armé d’une lance. L’observateur annonce l’apparition du galiote. Ce poisson, en nageant, s’élève d’un tiers de son épaisseur au-dessus du niveau de la mer, et dès que la barque est à portée, le pêcheur armé lui enfonce sa lance dans le corps, d’où il ne la retire qu’en y laissant le harpon de fer dont elle est garnie à son extrémité. Ce harpon, agencé de manière à se détacher aisément de la lance, tient d’ailleurs à une longue corde qu’on laisse filer tant que l’animal blessé fait des bonds et des efforts pour échapper ; quand il est fatigué, au moyen de la corde on l’amène à terre, ou même, s’il n’est pas de la plus grande taille, dans la barque. Encore que la lance tombe dans la mer, elle ne se perd point ; comme elle est en partie de chêne et de sapin, le chêne plonge par son poids, mais le sapin tend à ressortir : ainsi on la retrouve facilement. Quelquefois le rameur est blessé, même au travers de la barque : tant est longue l’épée de ces galiotes, et tant cette pêche, vu la force de l’animal, ressemble pour le danger à la chasse du sanglier !

« On peut donc juger qu’Homère fait errer Ulysse autour de la Sicile, puisque le poëte attribue à Scylla une pêche qui se pratique particulièrement au Scyllæon. Au sujet de Charybde, il rappelle ce qui se passa au détroit ; car dans les vers :

Trois fois le jour vient, etc.,

trois mis au lieu de deux, est une erreur de l’observateur ou du copiste. Tout ce qu’on voit à Messine s’accorde également avec ce qu’Homère dit des lotophages. Si quelque chose diffère, on doit l’attribuer au temps, au défaut de notions ; on doit l’attribuer surtout aux licences de la poésie, qui se compose d’historique, de dispositif et de mythique. Les poëtes se proposent pour but : dans l’historique, d’exprimer la vérité, comme quand, au livre du dénombrement (iie livre), Homère rappelle les traits caractéristiques de chaque lieu, et qualifie les cités de puissance, de frontière, de féconde en colombes, de maritime ; dans le dispositif, d’animer, comme quand il décrit les combats ; dans le mythique, de plaire et d’étonner. Tout inventer, c’est renoncer à paraître croyable, et ce n’est pas en ce genre qu’Homère a composé, car tous regardent sa poésie comme vraiment philosophique. Nul n’en juge comme Ératosthène, qui ne veut pas que dans aucun poème on cherche ni la saine raison ni l’histoire..... Lorsque Ulysse nous dit :

De là, durant neuf jours,
Des vents pernicieux malgré moi m’emportèrent,

probablement nous devons entendre qu’il erra dans une espèce de mer assez peu étendue (car des vents pernicieux ne font pas cheminer droit), et non qu’il fut entraîné jusque sur l’Océan, comme si des vents constamment favorables eussent pu l’y porter. En effet, ajoute Polybe (après avoir compté