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forts de moitié ; en sorte que, sans donner de batailles, ils pouvaient suivre l’armée romaine, et renfermer dans ses propres lignes. L’exemple de son père et de son oncle prouvait assez en faveur de ce raisonnement.

Depuis son arrivée en Espagne, Scipion s’informait sans cesse de la situation et des forces de la garnison de Carthagène, que les anciens appelaient Carthage-la-Neuve ; mais il faisait ses recherches d’une manière si indifférente en apparence, que chacun les prenait pour l’effet d’une curiosité naturelle qui porte à connaître les villes principales d’une province.

Carthagène, l’arsenal et le magasin général des Carthaginois, était la ville la plus importante de l’Espagne, parce qu’elle seule possédait un port capable de contenir une flotte. Sa position avantageuse lui permettait de recevoir les soldats qui venaient d’Afrique, et d’y embarquer ceux qui voulaient y aller. Les armes, les provisions, les trésors, tout y avait été enfermé comme dans un asile inviolable.

Malgré l’importance de cette place, les ennemis, aveuglés par un esprit de sécurité toujours si téméraire, avaient eu l’imprudence de n’y laisser qu’une faible garnison. On y comptait au plus mille hommes de troupes. Le jeune proconsul, bien instruit de cette faute, résolut d’en profiter.

Son camp n’était qu’à peu de jours de la ville, et pour y arriver, il devait passer l’Èbre. Scipion laissa un de ses lieutenans sur les bords du fleuve, et se porta en avant avec son armée qui ne connaissait rien de ses projets. L’incertitude cessa enfin, lorsqu’après sept jours de marche, on se trouva sous les murs de Carthagène. Scipion avait pris ses mesures si exactement, que, dans le moment où il arriva, Lælius bloquait le port avec la flotte romaine. Ainsi, lorsque les habitans se croyaient dans une sécurité parfaite, ils étaient investis par terre et par mer.

Il fallait emporter promptement Carthagène. Scipion remarqua qu’une partie de la ville était défendue par une espèce de lac, guéable à la marée basse. Il posta cinq cents hommes sur le bord, et ordonna de commencer l’attaque par un autre côté, au moment où il savait que devait commencer le reflux. Les ennemis y portèrent toutes leurs forces. Les cinq cents hommes, conduits par Scipion, passèrent le marais, trouvèrent la muraille dégarnie, et escaladèrent la place. Les avantages que Rome retira de la prise de Carthagène furent immenses.

Scipion avait assuré sa conquête en gagnant, pendant l’hiver qu’il avait passé à Tarragone, tous les esprits des peuples voisins. Édescon, célèbre capitaine espagnol, fut le premier qui eut la hardiesse de quitter les Carthaginois. La conduite de cet homme, si estimé, devint un exemple décisif pour la plupart des autres chefs de sa nation ; Mandonius et Indebilis, deux des plus puissans, ne tardèrent pas à prendre le parti des Romains.

Le proconsul, que cette alliance mettait en état d’entrer en campagne avec avantage, commença ses opérations par marcher au-devant d’Asdrubal, frère d’Annibal, qui voyait avec inquiétude la défection universelle de l’Espagne, et voulait tenter de rétablir par quelque action d’éclat, la fidélité chancelante du petit nombre d’alliés qui lui restait.

Le jeune Publius, pour qui la continuation du succès devenait également nécessaire, afin de conserver dans son parti un peuple dont il connaissait l’inconstance, cherchait l’armée carthagi-