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pas tellement le parti de Carthage, qu’il ne fût encore supérieur à celui des Romains. Les troupes de Magon et de l’autre Asdrubal, fils de Giscon, s’étant réunies, composèrent une armée de soixante-dix mille hommes de pied, quatre mille chevaux et trente-deux éléphans.

Ils ouvrirent la campagne aussitôt que la saison le permit, résolus de tenter encore le sort d’une bataille, avant que la désertion de leurs alliés les eût totalement affaiblis, et marchèrent vers une ville frontière nommée Ilinga (Sevilla Veja), sur la rive droite du Guadalquivir.

Asdrubal campa au pied d’une montagne voisine, dans un poste avantageux. Scipion, qui voulait empêcher les Carthaginois de communiquer avec Cadix, et isoler leur armée de sa place d’armes principale, s’avança en toute diligence avec quarante-cinq mille fantassins et trois mille chevaux. Il avait laissé un détachement à Tarragone, et des garnisons dans plusieurs villes, ce qui rendait ses forces bien inférieures à celles de ses adversaires ; et encore dans le nombre de ses troupes se trouvaient celles de Mandonius et d’Indibilis dont il commençait à soupçonner la bonne-foi.

Comme le malheur de son père l’avertissait d’être prudent, il se repentit de s’être autant avancé avec ces espagnols qui formaient une bonne partie de son armée. Toutefois, il ne pouvait ni reculer ni s’arrêter sans faire voir de la défiance ; or c’était dans ces occasions critiques que Scipion savait prendre son parti avec une promptitude et une présence d’esprit admirables, cachant à ses soldats son embarras réel sous une apparence de tranquillité qui pouvait imposer aux plus clair-voyans.

Il fut informé, par ses espions, de la position exacte de l’ennemi. Devant leur camp se trouvait une grande plaine qu’Asdrubal semblait avoir choisie exprès pour champ de bataille ; le général romain savait qu’en parcourant cette plaine, il rencontrerait, sur sa droite, à une lieue d’Asdrubal, quelques hauteurs qui bordaient la vue de ce côté.

Scipion dirigea sa marche, sur cet avis. D’abord, une grande partie de sa cavalerie fut détachée en avant, avec ordre de se couvrir au moyen de ces hauteurs ; lui-même choisit, pour son camp, le terrain qui en était proche, et lorsqu’il y fut arrivé avec toute son armée, il la rompit pour faire tirer ses lignes, négligeant même exprès quelques précautions usitées en pareilles circonstances, pour protéger les travailleurs.

Les Carthaginois jugent l’occasion belle. Magon est détaché à la tête de la cavalerie espagnole, Massinissa, avec ses Numides, pour fondre sur les Romains. Mais aussitôt que les deux généraux se présentent à portée, la cavalerie de Scipion sort de l’embuscade, et tombe si brusquement sur eux, qu’ils se voient forcés de reculer.

Ils se rallièrent pourtant et revinrent à la charge. Les Romains se sentant soutenus par leur infanterie, prirent enfin le dessus, et forcèrent Magon de fuir en déroute avec une grande perte d’hommes et de chevaux. Ce coup si habilement porté, donna du courage aux troupes romaines, et contint les Espagnols toujours affectionnés au vainqueur.

Un engagement général devenait inévitable. Asdrubal, supérieur en nombre, n’avait rien de mieux à faire ; une bataille gagnée lui ouvrait le pays, et ramenait les peuples sous ses enseignes. Scipion n’avait pas autant de raison pour hasarder le fruit de ses victoires ; mais supposant qu’Asdrubal lui offrirait le combat, il crut nuire à la répu-

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