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d’autant plus considérables, que cette fonte est accompagnée de pluies et d’orages. Tous les généraux, pendant ces derniers siècles, ont toujours pris leurs précautions pour parer à cette crue soudaine des eaux ; mais il paraît assez que César ne s’y attendait pas.

Les deux ponts qu’il avait sur la Sègre se rompirent en même temps. Un orage, qui s’était élevé le jour du combat, ayant continué le lendemain, le lit des rivières ne put suffire à tout ce volume d’eaux que les pluies amenèrent ; et, encore que les ponts construits sur des chevalets eussent pu résister à la violence des torrens, ces ponts devenaient impraticables et même inaccessibles. On ne découvrait aucun vestige de bateaux sur la rivière, et nous savons que les anciens ne se servaient pas habituellement de ces ponts portatifs, ni de tout l’attirail dont nous faisons ressource dans des cas pareils.

César perdit toutes ses communications. Il se trouva enfermé entre les deux rivières, la Sègre et la Cinea, dans un espace de trente mille pas romains, qui reviennent à dix lieues. Il avait encore à dos la Noguera Ribagorsana, non guéable pendant les inondations générales.

On reconnaît ce terrain en partant de Corbins, où la Noguera tombe dans la Sègre, jusqu’au dessus de Monçon, où la Cinca fait un coude[1]. César vivait avec beaucoup de peine, malgré ses communications, quand cette disgrâce vint le resserrer dans un pays entièrement épuisé par les grands magasins de Lérida.

Mais autant sa position devenait critique, autant celle de l’ennemi était heureuse et propre à lui faire concevoir les plus hautes espérances. Afranius et Petreius avaient des vivres en abondance ; le pont de pierre sous Ilerda leur ouvrait tout le pays, situé entre la Sègre et la mer ; l’assiette admirable du camp les mettait d’ailleurs à l’abri d’y être forcé, en cas que la faim et le désespoir déterminassent César à cette tentative.

Il se passe ordinairement douze jours avant que les rivières deviennent guéables à la suite de ces grandes inondations. Peut-être les eaux séjournèrent cette année plus long-temps qu’à l’ordinaire, puisque, d’après le récit de César, on n’avait pas encore vu d’exemple d’un pareil débordement.

Dans cette situation inquiétante, il fit usage de toutes les ressources que son esprit fertile en expédiens lui put suggérer. Il tâcha surtout de construire de nouveaux ponts, et entreprit ce travail en différens endroits, malgré tous les obstacles que l’abondance des eaux et la rapidité du courant lui opposèrent. Mais on ne put dérober la connaissance de ces ouvrages à l’ennemi, qui accabla d’une pluie de traits les travailleurs.

Pendant le temps que César souffrait ainsi de la disette, les généraux de Pompée reçurent l’importante nouvelle qu’un grand convoi arrivé des Gaules s’était approché de la Sègre, au dessus de Balaguer, sans pouvoir passer la rivière.

Dans le projet qu’ils formèrent pour surprendre ce convoi, Afranius et Petreius oublièrent de tourner la troupe qui servait d’escorte, et de se saisir des passages des montagnes, afin de lui couper la retraite. Ils manquèrent donc le but principal de leur entreprise, et le fruit de cette expédition se réduisit à l’enlèvement de quelques bagages.

  1. Voyez l’Atlas.