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POLYBE, LIV. I.

se mettrait en mer aussi bien que les Carthaginois. Et c’est en partie ce qui m’a encore porté à m’étendre un peu sur la guerre de Sicile, pour ne pas laisser ignorer en quel temps, de quelle manière, et pour quelles raisons les Romains ont commencé à équiper une flotte.

Ce fut pour empêcher que cette guerre ne tirât en longueur, que la pensée leur en vint pour la première fois. Ils eurent d’abord cent galères à cinq rangs de rames, et vingt à trois rangs. La chose ne fut pas peu embarrassante. Ils n’avaient pas alors d’ouvriers qui sussent la construction de ces bâtimens à cinq rangs, et personne dans l’Italie ne s’en était encore servi. Mais c’est où se fait mieux connaître l’esprit grand et hardi des Romains. Sans avoir de moyens propres, sans en avoir même aucun de quelque nature qu’il fût, sans s’être jamais fait aucune idée de la mer, ils conçoivent ce projet pour la première fois, et l’exécutent avec tant de courage, que dès lors ils osent attaquer les Carthaginois, à qui, de temps immémorial, on n’avait contesté la supériorité sur la mer. Mais voici une autre preuve de la hardiesse prodigieuse des Romains dans les grandes entreprises : lorsqu’ils résolurent de faire passer leurs troupes à Messine, ils n’avaient ni vaisseaux pontés, ni vaisseaux de transport, pas même une felouque, mais seulement des bâtimens à cinquante rames et des galères à trois rangs, qu’ils avaient empruntées des Tarentins, des Locriens, des Éléates et des Napolitains. Ce fut sur ces vaisseaux qu’ils osèrent transporter leurs armées.

Lorsqu’ils traversèrent le détroit, les Carthaginois étant venus fondre sur eux, et un vaisseau ponté qui s’était présenté d’abord au combat, ayant échoué et étant tombé en leur puissance, ils s’en servirent comme de modèle pour construire toute leur flotte : de sorte que sans cet accident, n’ayant aucune expérience de la marine, ils auraient été contraints d’abandonner leur entreprise. Pendant que les uns étaient occupés à la fabrication des vaisseaux, les autres amassaient des matelots et leur apprenaient à ramer. Ils les rangeaient la rame à la main sur le rivage dans le même ordre que sur les bancs. Au milieu d’eux était un commandant. Ils s’accoutumaient à se renverser en arrière, et à se baisser en devant tous ensemble, à commencer et à finir à l’ordre. Les matelots exercés, et les vaisseaux construits, ils se mirent en mer, s’éprouvèrent pendant quelque temps, et voguèrent le long de la côte d’Italie.

Cn. Cornelius, qui commandait la flotte, après avoir donné ordre aux pilotes de cingler vers le détroit dès que l’on serait en état de partir, prit avec dix-sept vaisseaux la route de Messine, pour y tenir prêt tout ce qui serait nécessaire. Lorsqu’il y fut arrivé, une occasion s’étant présentée de surprendre la ville des Lipariens, il la saisit trop légèrement et s’approcha de la ville. À cette nouvelle, Annibal, qui était à Palerme, fit partir le sénateur Boode avec une escadre de vingt vaisseaux. Celui-ci avança pendant la nuit, et enveloppa dans le port celle du consul. Le jour venu, tout l’équipage se sauva à terre, et Cornelius épouvanté, ne sachant que faire, se rendit aux ennemis ; après quoi les Carthaginois retournèrent vers Annibal, menant avec eux, et l’escadre des Romains, et le consul qui la commandait. Peu de jours après, quoique cette aventure fît beaucoup de bruit, il ne s’en fallut presque rien qu’Annibal ne tombât dans la même faute. Ayant appris que les Romains qui longeaient