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POLYBE, LIV. II.

cette ville, il s’en détacha de la flotte plusieurs, qui courant sus aux marchands, pillaient, tuaient et emmenaient des prisonniers. D’abord le sénat ne fit pas grand compte des plaintes qu’on lui portait contre ces pirates ; mais alors, ces plaintes devenant plus fréquentes, il envoya en Illyrie Caïus et Lucius Coruncanius pour s’assurer des faits. Quand Teuta vit, au retour de ses vaisseaux, le nombre et la beauté des effets qu’ils avaient apportés de Phénice, ville alors la plus riche et la plus florissante de l’Épire, cela ne fit que redoubler la passion qu’elle avait de s’enrichir des dépouilles des Grecs. Les troubles intestins dont son propre royaume était agité, la retinrent un peu de temps ; mais dès qu’elle eut ramené à leur devoir ceux de ses sujets qui s’étaient révoltés, elle mit le siége devant Issa, la seule ville qui refusât de la reconnaître.

Ce fut alors qu’arrivèrent les ambassadeurs romains. Dans l’audience qu’on leur donna, ils se plaignirent des torts que leurs marchands avaient soufferts de la part des corsaires illyriens. La reine les laissa parler sans les interrompre, affectant des airs de hauteur et de fierté. Quand ils eurent fini, sa réponse fut : qu’elle tâcherait d’empêcher que leur république n’eût dans la suite sujet de se plaindre de son royaume en général ; mais que ce n’était pas la coutume des rois d’Illyrie de défendre à leurs sujets d’aller en course pour leur utilité particulière. À ce mot le feu monte à la tête au plus jeune des ambassadeurs, et avec une liberté à qui il ne manquait que d’avoir été prise à propos : « Chez nous, madame, dit-il, une de nos plus belles coutumes, c’est de venger en commun les torts faits aux particuliers ; et nous ferons, s’il plaît aux dieux, en sorte que vous vous portiez bientôt de vous-même à réformer les coutumes des rois illyriens. » La reine prit cette réponse en femme, c’est-à-dire en très-mauvaise part. Elle en fut tellement irritée, que, sans égard pour le droit des gens, elle fit poursuivre les ambassadeurs et tuer celui qui l’avait offensée. Là-dessus les Romains font des préparatifs de guerre, lèvent des troupes et équipent une flotte.

Au commencement du printemps, Teuta, ayant fait construire un plus grand nombre de bâtimens qu’auparavant, envoya encore porter la destruction dans la Grèce. Une partie passa à Corcyre, les autres allèrent mouiller à Épidamne, sous prétexte d’y prendre de l’eau et des vivres, mais en fait, dans le dessein de surprendre la ville. Les Épidamniens les laissèrent entrer imprudemment et sans précaution ; ils abordent les habits relevés, un pot dans la main comme pour prendre de l’eau, et un poignard dans le pot. Ils égorgent la garde de la porte, et se rendent bientôt maîtres de l’entrée. Alors des renforts accoururent promptement de leurs vaisseaux, selon le projet qui avait été pris, et avec ces nouvelles forces il leur fut aisé de s’emparer de la plus grande partie des murailles. Mais les habitans, quoique pris à l’improviste, se défendirent avec tant de vigueur, que les Illyriens, après avoir long-temps disputé le terrain, furent obligés de se retirer. La négligence des Épidamniens, dans cette occasion, pensa leur coûter leur propre patrie ; leur courage, en les tirant du danger, leur apprit à être plus vigilans et plus attentifs à l’avenir.

Les Illyriens repoussés mirent aussitôt à la voile, et ayant joint ceux qui les devançaient, ils cinglèrent droit à Corcyre, y firent une descente, et en-

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