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POLYBE, LIV. II.

de leurs corps, que par leur nudité ; outre qu’il n’y en avait point dans les premières compagnies, qui n’eût le corps et les bras ornés de colliers et de bracelets d’or. À l’aspect de cette armée les Romains ne purent à la vérité se défendre de quelque frayeur, mais l’espérance d’un riche butin enflamma leur courage.

Les archers s’avancèrent sur le front de la première ligne, selon la coutume des Romains, et commencent l’action par une grêle épouvantable de traits. Les Gaulois des derniers rangs n’en souffrirent pas extrêmement, leurs braies et leurs saies les en défendirent ; mais ceux des premiers, qui ne s’attendaient pas à ce prélude, et qui n’avaient rien sur leur corps qui les mît à couvert, en furent très-incommodés. Ils ne savaient que faire pour parer les coups : leur bouclier n’était pas assez large pour les couvrir ; ils étaient nus, et plus leurs corps étaient grands, plus il tombait de traits sur eux. Se venger sur les archers mêmes des blessures qu’ils recevaient, cela était impossible, ils en étaient trop éloignés ; et d’ailleurs, comment avancer au travers d’un si grand nombre de traits ? Dans cet embarras, les uns, transportés de colère et de désespoir, se jettent inconsidérément parmi les ennemis, et se livrent involontairement à la mort ; les autres, pâles, défaits, tremblans, reculent et rompent les rangs qui étaient dernière eux. C’est ainsi que, dès la première attaque, furent rabaissés l’orgueil et la fierté des Gésates.

Quand les archers se furent retirés, les Insubriens, les Boïens et les Taurisques en vinrent aux mains. Ils se battirent avec tant d’acharnement, que, malgré les plaies dont ils étaient couverts, on ne pouvait les arracher de leur poste. Si leurs armes eussent été les mêmes que celles des Romains, ils remportaient la victoire. Ils avaient à la vérité comme eux des boucliers pour parer, mais leurs épées ne leur rendaient pas les mêmes services : celles des Romains taillaient et perçaient, au lieu que les leurs ne frappaient que de taille.

Ces troupes ne soutinrent le choc que jusqu’à ce que la cavalerie romaine fût descendue de la hauteur, et les eût prises en flanc. Alors l’infanterie fut taillée en pièces, et la cavalerie s’enfuit en déroute. Quarante mille Gaulois restèrent sur la place, et on fit au moins dix mille prisonniers, entre lesquels était Concolitan, un de leurs rois. Anéroeste se sauva avec quelques‑uns des siens, en je ne sais quel endroit, où il se tua lui et ses amis de sa propre main. Émilius, ayant ramassé les dépouilles, les envoya à Rome, et rendit le butin à ceux à qui il appartenait ; puis, marchant à la tête des légions par la Ligurie, il se jeta sur le pays des Boïens, y laissa ses soldats se gorger de butin, et revint à Rome peu de jours après avec l’armée. Tout ce qu’il avait pris de drapeaux, de colliers et de bracelets, il l’employa à la décoration du Capitole ; le reste des dépouilles et les prisonniers servirent à orner son triomphe. C’est ainsi qu’échoua cette formidable irruption des Gaulois, qui menaçait d’une ruine entière non-seulement toute l’Italie, mais Rome même.

Après ce succès, les Romains ne doutant point qu’ils ne fussent en état de chasser les Gaulois de tous les environs du Pô, ils firent de grands préparatifs de guerre, levèrent des troupes, et les envoyèrent contre eux sous la conduite de Q. Fulvius et de Titus Manlius, qui venaient d’être créés consuls. Cette irruption épouvanta les Boïens, et ils se rendirent à discrétion. Du reste