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POLYBE, LIV. III.

méritaient l’adresse et le courage avec lesquels il s’était conduit dans les affaires d’Illyrie.




CHAPITRE V.


Guerre des Romains contre les Carthaginois. — Ambassade des Romains à Carthage. — Différens traités faits entre les Romains et les Carthaginois.


Lorsque l’on apprit à Rome la prise de Sagonte, on n’y délibéra point si l’on ferait la guerre aux Carthaginois. Quelques historiens disent que cela fut mis en délibération, et ils rapportent même les discours qui se tinrent pour et contre ; mais c’est la chose du monde la moins vraisemblable. Comment se serait-il pu faire que les Romains, qui l’année précédente avaient déclaré la guerre aux Carthaginois s’il leur arrivait de mettre le pied sur les terres des Sagontins, après la prise de la ville même, doutassent, hésitassent un moment s’ils feraient la guerre ou non ? Comment passer à ces historiens ce qu’ils disent, que les sénateurs, consternés de cette nouvelle, menèrent au sénat des enfans de douze ans, et que ces enfans, à qui l’on avait fait part de tout ce qui s’y était passé, ne s’ouvrirent ni à leurs parens ni à leurs amis sur le secret qui leur avait été confié ? Il n’y a dans tout cela ni vérité ni apparence même de vérité, à moins que l’on n’ajoute, ce qui est ridicule, que les Romains ont reçu de la fortune le privilége d’apporter la prudence en naissant. De pareilles histoires ne valent pas la peine d’être réfutées plus au long, si toutefois on peut appeler histoires ce que nous débitent là-dessus Chéréas et Sosile. Ces contes m’ont tout l’air d’avoir été pris dans quelque boutique de barbier, ou répétés d’après la plus vile populace.

Dès que l’on connut à Rome l’attentat d’Annibal contre Sagonte, on envoya sur-le-champ deux ambassadeurs à Carthage, avec ordre de proposer deux choses, dont l’une ne pouvait être acceptée par les Carthaginois qu’à leur honte et à leur préjudice ; et l’autre était pour Rome et pour Carthage le commencement d’une affaire très-embarrassante et très-meurtrière ; car leurs instructions portaient : ou de demander qu’on leur livrât Annibal et ceux qui avaient pris part à ses desseins ou de déclarer la guerre. Les ambassadeurs, arrivés à Carthage, déclarèrent en plein sénat leurs intentions. Les Carthaginois ne les entendirent qu’avec horreur, et donnèrent au plus capable commission de défendre la cause de la république. Celui-ci ne parla pas plus du traité fait avec Asdrubal que s’il n’eût jamais été fait, ou que s’il eût été fait sans ordre du sénat. Il justifia son silence sur cet article, en disant que, si les Carthaginois n’avaient aucun égard pour le traité d’Asdrubal, ils ne faisaient en cela que suivre l’exemple du peuple romain, qui, dans la guerre de Sicile, cassa un traité fait par Luctatius, sous prétexte qu’il avait été conclu sans son autorité. Les Carthaginois appuyaient beaucoup sur le traité qui avait mis fin à la guerre de Sicile et y revenaient à tout moment, prétendant qu’il n’y avait rien qui regardât l’Espagne : qu’à la vérité il y était marqué que de part ni d’autre on ne ferait aucun tort aux alliés ; mais que, dans le temps du traité, les Sagontins n’étaient point encore alliés du peuple romain, et là-dessus on ne cessait de relire le traité. Les Romains refusèrent absolument de répondre à cette apologie. Ils dirent que cette discussion pouvait avoir lieu, si Sagonte était encore dans son premier état ; qu’en ce cas les paroles suffiraient

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