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POLYBE, LIV. V.

Au dehors Nicagoras témoignait être reconnaissant à Cléomène de l’avoir épargné ; mais il était très-piqué de cette perfidie dont l’on pourrait soupçonner qu’il était auteur.

Quelque temps après il débarqua à Alexandrie avec des chevaux qu’il y venait vendre. En descendant du vaisseau, il rencontra sur le port Cléomène, Pantée et Hippas, qui s’y promenaient. Cléomène vint le joindre, l’embrassa tendrement, et lui demanda pour quelle affaire il était venu. « J’amène des chevaux, » répondit Nicagoras. « C’était plutôt de beaux garçons et des danseuses qu’il fallait amener, reprit Cléomène : voilà ce qu’aime le roi d’aujourd’hui. » Nicagoras sourit sans dire mot. À quelques jours de là, ayant fait connaissance avec Sosibe à l’occasion des chevaux, pour le prévenir contre Cléomène, il lui fit part de la plaisanterie de ce prince contre Ptolémée. Voyant ensuite que Sosibe l’écoutait avec plaisir, il lui découvrit encore la haine qu’il avait pour Cléomène. Sosibe, charmé de le voir dans ces dispositions, lui fit des largesses, lui en promit d’autres pour la suite, et obtint qu’il écrirait une lettre contre Cléomène, qu’il la laisserait cachetée, et quelques jours après son départ un esclave, comme envoyé de sa part, lui apporterait cette lettre. Nicagoras consent à tout. Il part, un esclave apporte la lettre, et sur-le-champ Sosibe s’en fait suivre et va trouver Ptolémée. L’esclave dit que Nicagoras lui avait laissé cette lettre, avec ordre de la rendre à Sosibe. On ouvre la lettre, et on y lit que Cléomène était dans le dessein, si on ne lui permettait pas de se retirer, et si on ne lui donnait pour cela des troupes et les provisions nécessaires, d’exciter quelque soulèvement dans le royaume. Aussitôt Sosibe presse le roi et ses amis de prévenir le traître, de prendre de justes mesures contre lui, et de l’enfermer. Cela fut exécuté. On donna à Cléomène une grande maison, où il était gardé, ayant ce seul avantage au-dessus des autres prisonniers, qu’il vivait dans une plus vaste prison. Dans cette situation, où il ne voyait rien à espérer pour l’avenir, il résolut de tout tenter pour se mettre en liberté ; non qu’il se flattât de réussir, dénué comme il l’était de tous les moyens nécessaires pour une si difficile entreprise ; mais parce qu’il voulait mourir glorieusement, et ne rien souffrir d’indigne de ses premiers exploits. Peut-être aussi fut-il alors animé de ce sentiment si ordinaire aux grands hommes, qu’il ne faut pas mourir d’une mort commune et sans gloire, mais après quelque action éclatante qui fasse parler de nous dans la postérité.

Il observa donc le temps que le roi devait aller à Canope, et fit alors répandre parmi ses gardes que le roi devait bientôt le mettre en liberté. Sous ce prétexte il fait faire des festins aux siens et fait distribuer à ses gardes de la viande, des couronnes et du vin. Ceux-ci mangent et boivent, comme si on ne leur eût rien dit que de vrai. Quand le vin les eut mis hors d’état d’agir, Cléomène, vers le milieu du jour, prend ses amis et ses domestiques, et ils passent tous, le poignard à la main, au travers des gardes sans en être aperçus. Sur la place ils rencontrent Ptolémée, gouverneur de le ville : ils jettent la terreur parmi ceux qui l’accompagnent, l’arrachent de dessus son char, l’enferment, et crient au peuple de secouer le joug et de se remettre en liberté. Chacun fut si effrayé d’une action si hardie, qu’on n’osa pas se joindre aux conjurés. Ceux-ci tournèrent aussitôt vers la citadelle pour en forcer les por-