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POLYBE, LIV. V.

dirent le bruit que le lendemain il fallait que le roi sortît dès le point du jour, et allât respirer l’air frais du matin. Hermias, et tous les amis du roi qui étaient du complot, vinrent à l’heure marquée. Les autres ne s’y trouvèrent pas, ils ne s’attendaient point que le roi dût sortir à une heure si inaccoutumée. On part du camp, et lorsqu’on est à un certain endroit désert, le roi s’étant un peu écarté du chemin comme pour satisfaire à quelque besoin, on poignarde Hermias, peine beaucoup au-dessous de la punition que ses crimes méritaient. Le roi, délivré de crainte et d’embarras, décampa et prit la route de sa capitale. En quelque endroit qu’il passât, tout retentissait des éloges que l’on faisait de ses entreprises et de ses exploits, mais surtout de ce qu’il s’était défait d’Hermias. À Apamée, sa femme fut aussi tuée par les femmes, et ses enfans par les enfans.

Après que le roi eut fait prendre les quartiers d’hiver à ses troupes, il dépêcha vers Achéus, pour lui faire des reproches d’avoir osé mettre le diadème sur sa tête et se faire appeler roi ; et en second lieu pour l’avertir qu’on savait la liaison qu’il avait avec Ptolémée, et les excès où cette liaison l’avait fait tomber. En effet, dans le temps qu’Antiochus marchait contre Artabarzane, cet Achéus s’était flatté, ou que le roi périrait dans cette expédition, ou que, quand même il en reviendrait, il aurait le temps de se jeter dans la Syrie avant que ce prince y arrivât, et qu’avec le secours des Cyrrhestes, qui avaient quitté le parti du roi, il serait bientôt le maître du royaume. Dans ce dessein, il partit de la Lydie à la tête de toute son armée. Arrivé à Laodicée, en Phrygie, il ceignit sa tête du diadème, et prit pour la première fois le nom de roi. Il écrivit aussi aux villes en cette qualité, poussé à cela principalement par un certain banni nommé Spiris, qu’il avait auprès de lui. Il avança toujours, et il était déjà près de Lycaonie, lorsque ses troupes voyant avec chagrin qu’on les menait contre leur roi naturel, se soulevèrent. Achéus se garda bien de persister dans son dessein après ce changement des esprits ; au contraire, pour persuader à ses troupes que ses vues n’étaient pas d’abord d’envahir la Syrie, il prit une autre route, ravagea la Pisidie, et quand il eut regagné l’amitié et la confiance de son armée par le butin qu’il lui fit faire dans cette province, il s’en retourna chez lui. Le roi avait été informé de toutes ces perfidies, et c’était la raison des menaces qu’il faisait continuellement à Achéus, et que nous avons rapportées.

Antiochus ne laissa pas pour cela de donner tous ses soins à se disposer à la guerre contre Ptolémée. Ayant assemblé ses troupes à Apamée au commencement du printemps, il consulta ses amis sur la manière dont on s’y prendrait pour entrer dans la Cœlo-Syrie. Après qu’on se fut fort étendu sur la situation des lieux, sur les préparatifs, sur le secours que pourrait donner une armée navale, Apollophanes, le même dont nous parlions tout à l’heure, et qui était de Séleucie, réfuta tout ce que l’on avait proposé, et dit qu’il n’était pas raisonnable d’avoir tant de désir de conquérir la Cœlo-Syrie, tandis qu’on souffrait que Ptolémée possédât Séleucie, la capitale du royaume, le temple pour ainsi dire des dieux pénates de toute la monarchie ; qu’il était honteux de laisser sous la puissance des rois d’Égypte une ville dont on pourrait tirer de très-grands avantages dans les conjonctures présentes ; que, tant qu’elle resterait aux ennemis, elle serait un obstacle invincible à tous les