Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/625

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
617
POLYBE, LIV. VI.

Ce ne sont pas les meilleures, puisque non-seulement la raison, mais encore l’expérience, nous apprennent que la forme de gouvernement la plus parfaite, est celle qui est composée des trois qu’ils citent : telle fut, par exemple, celle que Lycurgue établit le premier à Lacédémone. Ce ne sont pas non plus les seules qu’il y ait, car les gouvernements monarchiques et tyranniques sont fort différents de la royauté, quoiqu’ils semblent avoir quelque ressemblance avec elle, ce dont profitent les monarques et les tyrans, pour colorer, autant qu’il leur est possible, et leurs actes et leur nom du titre de royauté. Il y a eu aussi plusieurs états gouvernés par un petit nombre de citoyens choisis. Au premier abord, on aurait cru que c’étaient des états aristocratiques, cependant ces deux gouvernements ne se ressemblent presque en aucune manière. On doit porter le même jugement de la démocratie.

Pour se convaincre de la vérité de ce que j’avance, il ne faut que remarquer que toute monarchie n’est pas royauté, mais celle-là seulement à laquelle les sujets se soumettent de bon gré, et où tout se fait plutôt par raison que par crainte et violence. Toute oligarchie ne mérite pas non plus le nom d’aristocratie. Il n’y a que celle où l’on choisit les plus justes et les plus prudents pour être à la tête des affaires. En vain aussi donnerait-on le nom de démocratie à un état où la populace serait maîtresse de faire tout ce qui lui plairait. Un état où l’on est depuis long-temps dans l’usage de révérer les dieux, d’être soumis à ceux dont on tient le jour, de respecter les vieillards et d’obéir aux lois, et dans lequel l’opinion de la majorité est toujours victorieuse : voilà ce qu’on peut à juste titre appeler le gouvernement du peuple.

On doit donc distinguer six sortes de gouvernements, les trois dont tout le monde parle et dont nous venons de parler, et trois qui ont du rapport avec les premiers ; savoir : le gouvernement d’un seul, celui de peu de citoyens, et celui de la multitude. Le gouvernement d’un seul ou la monarchie s’établit sans art et par le pur mouvement de la nature : de la monarchie naît la royauté, lorsqu’on y ajoute l’art et qu’on en corrige les défauts ; et quand elle vient à enfanter la tyrannie, dont elle approche beaucoup, sur les ruines de l’une et de l’autre s’élève l’aristocratie, qui se change comme naturellement en oligarchie ; et de la démocratie, lorsque le peuple devient insolent et qu’il méprise les lois, naît le gouvernement de la multitude.

On reconnaîtra clairement la vérité de tout ce que je viens d’avancer, si l’on considère les principes naturels, la naissance et les changements de chaque sorte de ces gouvernements. Les commencements d’un état sont surtout utiles à connaître. Sans cette connaissance, il est impossible de voir clair dans ses progrès, dans sa plus grande force, dans les changements qui lui arriveront, et de deviner quand et comment il finira, et en quelle forme il se changera. C’est aussi de cette manière que je veux entreprendre l’examen de la république romaine, parce que son premier établissement et ses progrès sont conformes aux lois de la nature.

On dira peut-être que l’on trouve la transformation des états traitée avec exactitude dans Platon et quelques autres philosophes ; mais comme Platon s’étend fort longuement sur ce sujet, et que peu de gens sont capables de l’entendre, je crois que je ne ferai pas mal d’en extraire ici ce qui peut convenir à une histoire et être à la portée de tout