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POLYBE, LIV. X.

nouvel assaut les rejette dans le même péril. D’un autre côté, les traits leur manquaient, et le nombre des morts abattait leur courage. Leur embarras était extrême ; cependant ils se défendirent du mieux qu’ils purent.

Au moment on les Romains poussaient l’assaut avec le plus de vigueur, la marée commença à descendre, et les eaux à baisser sur les bords ; mais par l’embouchure elles se jetaient avec rapidité dans la mer, qui était jointe, en sorte que ceux qui ne connaissaient pas les localités ne pouvaient assez s’étonner de cet effet naturel. Alors Scipion, qui avait eu soin de tenir des guides tout prêts, commanda aux troupes qu’il avait postées de ce côté-là d’entrer dans l’étang et de ne rien craindre ; car un de ses grands talent était d’enflammer le courage de ceux qu’il exhortait, et de les faire entrer dans toutes ses vues. Les soldats obéirent et se jetèrent à l’envi dans l’étang. Ce fut alors que toute l’armée crut que quelque divinité conduisait ce siége, et qu’on se rappela tout ce que Scipion, dans sa harangue, avait promis du secours de Neptune ; et ce souvenir enflamma tellement le courage des soldats, que, faisant la tortue, ils fondirent jusqu’à la porte, et tâchèrent de la briser à coups de hache. Ceux qui s’étaient approchés de la muraille en traversant l’étang, voyant les créneaux abandonnés, non-seulement ne trouvèrent aucun obstacle à appliquer leurs échelles, mais encore s’emparèrent du haut de la muraille sans combattre : les assiégés, en effet, s’étaient répandus dans les autres endroits, et surtout vers le bout de l’isthme et vers la porte qui y conduisait, et personne ne s’attendait que les ennemis attaqueraient la muraille du côté de l’étang ; outre que les cris confus que jetait la populace effrayée ne leur permettaient ni d’entendre ni de rien voir de ce qu’il y avait à faire.

Les Romains ne se furent pas plus tôt rendus maîtres de la muraille, qu’ils la parcoururent en précipitant tous les ennemis qu’ils rencontraient, leur armure leur donnant pour cela beaucoup d’avantage. Arrivés à la porte, les uns descendirent et brisèrent les gonds ; les autres, qui étaient au dehors, entrèrent dans la ville. Ceux qui escaladaient du côté du bout de l’isthme, ayant repoussé les assiégés, s’emparèrent des créneaux. C’est ainsi que la ville fut prise. La colline, du côté de l’orient, fut emportée par ceux qui étaient entrés par la porte, après en avoir chassé les Carthaginois qui la gardaient.

Quand Scipion crut qu’il était entré assez de soldats dans la ville, il en détacha la plus grande partie contre les habitans, comme les Romains ont coutume de faire lorsqu’ils prennent une ville d’assaut, avec ordre de tuer tous ceux qu’ils rencontreraient, de ne faire quartier à personne, et de ne point penser à piller que le signal n’en fût donné. Je pense qu’ils ne se portent à ces excès que pour inspirer la terreur du nom romain, et que c’est pour cela que souvent, dans les prises de villes, non-seulement ils passent les hommes au fil de l’épée, mais encore coupent en deux les chiens et mettent en pièces les autres animaux : coutume qu’ils observèrent surtout ici, à cause du grand nombre d’animaux qu’ils avaient pris. Scipion ensuite, à la tête de mille soldats, s’avança vers la citadelle. À son arrivée, Magon voulut d’abord se mettre sur la défensive ; mais, réfléchissant que la ville était entièrement au pouvoir des Romains, il envoya demander la vie à Scipion, et lui remit la citadelle ; après quoi le signal du