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POLYBE, LIV. XII.

donnant surtout leurs soins à effacer les traces de leur origine et de leur obscurité, s’efforçant enfin de passer pour les descendans et non pour les affranchis de leurs maîtres ? (Ibid.)


Il est vraisemblable que c’est ce qui arriva aux Locriens. Beaucoup, en effet, après s’être expatriés, ne redoutant plus les témoins de leur condition première, et se voyant favorisés par le temps qui s’était écoulé, ne furent pas assez dénués de sens pour observer des pratiques qui pouvaient rappeler leur ancien abaissement ; au contraire, ils firent tout pour en effacer les traces. Voilà probablement pourquoi les Locriens ont donné à leur ville un nom emprunté aux femmes, et le motif pour lequel ils ont supposé par elles une filiation. C’est encore ce qui les faisait renouveler des amitiés et des alliances qui, par les femmes, remontèrent jusqu’à leurs ancêtres. Si les Athéniens ont ravagé leur territoire, on ne peut voir là une preuve qu’Aristote ait avancé un mensonge ; car, puisque, d’après ce que nous avons dit précédemment, on peut croire que ceux des Locriens qui, étant partis des bords de la Locride, abordèrent en Italie, s’attribuèrent (eussent-ils été dix fois esclaves) des rapports d’amitié avec les Lacédémoniens, il devient également de toute probabilité que les Athéniens, dans leur haine pour ces derniers, examinèrent moins le fait en lui-même que l’intention de ses auteurs. Mais comment les Lacédémoniens renvoyèrent-ils dans leur patrie les jeunes gens pour relever la population, tandis qu’ils n’auraient pas permis aux Locriens d’en faire autant ? Il existe sur chacune de ces questions une grande différence entre la vraisemblance et la vérité. En effet, les Lacédémoniens ne devaient pas empêcher les Locriens de faire ce qu’ils faisaient eux-mêmes ; cela n’eût pas été conséquent : et, d’un autre côté, quand ils en auraient reçu l’ordre, les Locriens n’auraient pas obéi. En voici la raison : À Lacédémone, les mœurs et les institutions autorisent trois ou quatre hommes, et même davantage lorsqu’ils sont frères, à avoir une seule femme, dont les enfans leur appartiennent en commun ; là, il est également beau et ordinaire qu’un homme qui a un nombre suffisant d’enfans cède sa femme à un de ses amis. Les Locriens, qui ne s’étaient pas liés comme les Lacédémoniens, par des imprécations et des sermens, à ne point retourner dans leurs foyers avant d’être en possession de Messène, pensaient aisément se dispenser de revenir tous ensemble ; mais comme ils effectuaient leur retour par de faibles et de rares détachemens, ils donnèrent aux femmes le temps d’avoir commerce avec les esclaves ou avec les hommes déjà mariés ; ce qui arriva surtout aux jeunes filles. Telle fut la cause de l’émigration. (Ibid.)


Timée dit que la plus grande faute en histoire est le mensonge, et qu’il permet à ceux dont il a relevé les impostures dans leurs ouvrages de prendre tout autre titre que celui d’historien.

Tout en approuvant Timée sur ce point, nous pensons qu’il est important de distinguer l’infidélité par ignorance de celle que l’on commet sciemment ; car l’erreur involontaire mérite le pardon, et ne doit encourir qu’une critique indulgente, tandis que l’autre ne saurait être châtiée trop sévèrement. C’est précisément sous ce dernier rapport qu’on peut trouver Timée le plus