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POLYBE, LIV. XV.

et tourna contre eux-mêmes toutes les fraudes qu’ils méditaient contre les autres. Vaincus l’un et l’autre, non-seulement ils ne purent plus convoiter le bien d’autrui, mais ils furent encore obligés de payer tribut aux Romains et de se soumettre aux ordres qu’ils en recevaient. Pour en finir, en très-peu de temps elle releva le royaume de Ptolémée, renversa ceux de Philippe et d’Antiochus, et fit sentir à leurs successeurs des maux presque aussi grands que ceux dont ces deux princes avaient accablé leur jeune pupille. (Dom Thuillier.)


Molpagoras.


C’était chez les Cianiens un homme également fait pour parler et pour agir. Naturellement ambitieux, pour s’insinuer dans l’esprit de la multitude, il lui dénonça les gens les plus riches ; il en fit mourir quelques-uns ; il en bannit d’autres, mit leurs biens à l’enchère, les distribua au peuple, et parvint par ces sortes de moyens à se faire bientôt une puissance et une autorité royales. (Vertus et Vices.) Dom Thuillier.


Mauvaise foi de Philippe à l’égard des Cianiens.


Si les Cianiens sont tombés dans de si grandes calamités, ils ne doivent pas s’en prendre à la fortune. Ils n’ont pas même à se reprocher de se les être attirées par quelque injustice à l’égard de leurs voisins. Leur imprudence et leur mauvaise politique en sont seules la cause. Pour envahir les biens les uns des autres, quand on n’élève aux premières dignités que ce que l’on a de plus mauvais citoyens, et que l’on respecte leurs décisions jusqu’à maltraiter ceux qui s’y opposent, c’est se précipiter soi-même et de plein gré dans les plus grands maux. C’est cependant une faute que l’on voit tous les jours commettre, sans qu’on ouvre les yeux sur une conduite si irrégulière, sans se mettre tant soit peu sur ses gardes, sans entrer dans la moindre défiance.

Je ne sais comment il se fait que dans les grandes et fréquentes calamités publiques on voit toujours les hommes empressés à s’y précipiter. Ils ne peuvent en cela mettre un frein à leur volonté, ou du moins se délier d’eux-mêmes comme le font les animaux. Toutes les fois, en effet, qu’un animal a été la victime d’une nourriture trompeuse ou de filets tendus contre lui, toutes les fois même qu’il a vu un autre animal tomber dans un piége, il se tient sur ses gardes, et il est bien difficile de l’entraîner dans des dangers de la même nature ; il se méfie jusque des lieux mêmes. Les hommes, au contraire, ont beau apprendre que des villes ont été renversées de fond en comble, ils ont beau en voir d’autres en ruines aujourd’hui, toutes les fois qu’on leur met sous les yeux, dans un discours flatteur et caressant, la perspective d’un intérêt mutuel, ils tombent inconsidérément dans le piége ; et ils savent bien cependant, qu’il n’est aucun de ceux qui ont dévoré ces mets trompeurs qui en soit sorti sain et sauf, et que les formes politiques qu’on leur conseille ont été la ruine de tous.

Lorsque Philippe se fut rendu maître de la ville des Cianiens, sa joie fut extrême. Il croyait avoir fait la plus belle et la plus mémorable de toutes les actions, ayant secouru Prusias son gendre, épouvanté ceux qui avaient quitté son parti, et acquis légitimement une grande quantité d’esclaves et d’argent. Bien des raisons devaient le détromper ; mais il ne les voyait pas, quoiqu’elles sautassent aux yeux. Premièrement il venait

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