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POLYBE, LIV. XVI.

céan ou de la mer Atlantique, il n’est pas possible d’entrer dans notre mer sans traverser le détroit des colonnes d’Hercule, de même, on ne peut aller de notre mer dans la Propontide et le Pont, qu’on ne passe entre Abydos et Sestos. Et ce n’est pas sans raison que la fortune, en formant ces deux détroits, a voulu que celui des colonnes d’Hercule fût de soixante stades, et que celui de l’Hellespont ne fût que de deux ; c’est, à ce que je puis conjecturer, parce que la mer extérieure est beaucoup plus grande que la nôtre. Au reste, le détroit d’Abydos est plus avantageusement situé que l’autre ; car il est habité de l’un et de l’autre côté, et il sert comme de porte pour la communication des deux peuples. Les gens de pied peuvent parfois passer d’un continent à l’autre sur un pont ; on y va aussi par mer, et ce passage est très-fréquenté ; au lieu que l’on fait très-peu d’usage du détroit des colonnes d’Hercule, premièrement, parce que peu de gens sont en commerce avec les peuples qui habitent les extrémités de l’Afrique et de l’Europe, et en second lieu, parce que la mer extérieure est inconnue. Abydos est environnée des deux côtés par deux promontoires d’Europe, et il y a un port où les vaisseaux sont à l’abri de toutes sortes de vents, et hors du port, il est impossible de jeter l’ancre proche de la ville, tant est grande la rapidité et la violence du cours de l’eau dans le détroit.

Philippe assiégeait cette ville par mer et par terre : par mer, en hérissant de pieux le port, et par terre, en conduisant autour de la ville des retranchemens. Quoique les préparatifs du siége fussent grands, que l’appareil en fût terrible, et que de part et d’autre on n’omît rien de ce qui se pratique ordinairement, soit pour attaquer ou pour se défendre, ce n’est point par là que ce siége est digne d’admiration. Mais si l’on considère le courage et la constance inébranlable avec laquelle les Abydéniens l’ont soutenu, il n’y en a point dont l’histoire mérite plus d’être transmise à la postérité. D’abord pleins de confiance en leurs forces, ils repoussèrent vivement les premières attaques du roi de Macédoine. Du côté de la mer, les machines ne pouvaient approcher qu’elles ne fussent aussitôt démontées par les balistes ou consumées par le feu. Les vaisseaux mêmes qui les portaient étaient en péril, et les assiégeans avaient toutes les peines du monde à les sauver. Du côté de la terre les Abydéniens se défendirent aussi quelque temps avec beaucoup de valeur, et ils ne désespéraient pas même de rebuter les ennemis. Mais voyant la muraille extérieure sapée, et que les Macédoniens poussaient leurs mines sous la muraille intérieure qu’on avait élevée pour tenir la place de l’autre, ils envoyèrent Iphiade et Pantanocte pour traiter avec Philippe de la reddition de leur ville, à ces conditions : que les troupes qui leur avaient été envoyées par les Rhodiens et par Attalus retourneraient à leurs maîtres sous sa sauve garde, et que les personnes libres se retireraient où elles voudraient, et avec les habits qu’elles avaient sur le corps. Philippe leur ayant répondu que les Abydéniens n’avaient qu’un de ces deux partis à prendre, ou de se rendre à discrétion, ou de continuer à se défendre vaillamment, les ambassadeurs se retirèrent. Sur leur rapport, les assiégés au désespoir s’assemblèrent et délibérèrent sur ce qu’ils avaient à faire. Il fut résolu premièrement qu’on donnerait la liberté aux esclaves pour les animer à la défense de la ville ; en second lieu, qu’on renfermerait toutes les