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POLYBE, LIV. XXVIII.

les autres. Quand on y apprit que le sénat avait défendu par un décret qu’on eut égard aux ordres des généraux, à moins qu’un sénatus-consulte n’y fût joint, cette prudence du sénat fut extrêmement applaudie, au moins par plusieurs. Philophron, entre autres, et Théætète saisirent cette occasion de poursuivre leur projet, et dirent qu’il fallait dépêcher des ambassadeurs au sénat, au consul Q. Marcius, et à C. Marcius Figulus, amiral de la flotte romaine ; car tout le monde savait que quelques-uns des premiers magistrats de Rome devaient incessamment arriver dans la Grèce. Le sentiment de ces deux conseillers prévalut et fut ratifié, quoique avec quelque contradiction. On envoya donc à Rome, au commencement de l’été, Hégésiloque et Nicagoras ; au consul et à l’amiral, Agésipolis, Ariston et Pancrate. Ces ambassadeurs avaient ordre de renouveler l’alliance avec les Romains et de défendre Rhodes contre les faussetés et les calomnies dont quelques mauvais citoyens l’avaient noircie. Hégésiloque en particulier devait encore demander qu’il fût permis aux Rhodiens de transporter des blés. On a vu, lorsque nous avons parlé des affaires d’Italie, les discours qu’ils tinrent au sénat, les réponses qu’ils en reçurent, et combien ils s’en retournèrent contens de l’accueil qu’on leur avait fait. À propos de ceci, il est bon que j’avertisse, comme je l’ai déjà fait, que souvent je suis obligé de rapporter les discours que font les ambassadeurs et les réponses qu’ils reçoivent, avant de parler de leur nomination et de leur envoi. Cette anticipation est inévitable dans le plan que je me suis formé de ranger sous chaque année tous les événemens qui sont arrivés chez différentes nations.

Pour revenir à nos ambassadeurs, Agésipolis trouva Q. Marcius campé proche d’Héraclée, dans la Macédoine, et lui fit part des ordres dont sa république l’avait chargé. Le consul, après l’avoir entendu, lui dit qu’il n’ajoutait pas foi aux mauvais bruits que les ennemis de Rhodes avaient publiés. Il exhorta les Rhodiens à ne pas souffrir chez eux quiconque aurait la hardiesse d’ouvrir la bouche contre les Romains. Enfin, ils reçurent de ce consul toutes les marques d’amitié qu’ils en pouvaient attendre. Marcius fit plus encore ; il écrivit à Rome la conférence qu’il avait eue avec les ambassadeurs rhodiens. Agésipolis fut charmé de l’audience favorable qu’on lui avait donnée. Le consul s’en aperçut, et, le tirant à part, lui dit qu’il était étonné que les Rhodiens ne se donnassent aucun mouvement pour ménager un accommodement entre les deux rois qui étaient en guerre pour la Cœlé-Syrie ; qu’une négociation de cette nature leur convenait tout-à-fait et leur ferait beaucoup d’honneur. Il n’est pas aisé de deviner au juste quel était le motif qui portait le consul à parler de la sorte. Craignait-il que la guerre pour la Cœlé-Syrié étant ouvertement déclarée, Antiochus ne devînt maître d’Alexandrie, et ne fît de la peine aux Romains occupés contre Persée, qui ne semblait pas devoir être sitôt défait ? Voyait-il au contraire que la guerre contre Persée devant se terminer bientôt à l’avantage des Romains, depuis que les légions étaient entrée dans la Macédoine, il était à propos d’engager les Rhodiens à se faire médiateurs entre les deux princes, et de les exposer par là à commettre une faute qui donnerait aux Romains un prétexte plausible de disposer du sort de cette république comme il leur plairait ? Je crois que c’est à ce dernier motif qu’il faut s’en tenir : on n’a pour s’en convaincre