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POLYBE, LIV. XXX.

sentimens et moururent avec honneur. On ne peut que les louer de ne s’être pas manqués à eux-mêmes et de n’avoir pas souffert que leur dernier jour obscurcît l’éclat de la réputation qu’ils s’étaient faite pendant le reste de leur vie.

La tranquillité où l’on resta dans l’Achaïe, chez les Thessaliens et les Perrhébiens, fut suspecte. Plusieurs y furent soupçonnés de pencher en faveur du roi de Macédoine et de ne chercher que l’occasion de se déclarer pour ce prince. Cependant jamais ils n’avaient laissé échapper publiquement un seul mot, jamais on n’avait surpris ni lettre ni messager de leur part qui pût donner lieu à ce soupçon, jamais ils ne donnèrent prise sur eux. Aussi furent-ils toujours prêts à rendre compte de leur conduite et à justifier de leur innocence. Avant que de périr, ils tentèrent tous les moyens de se sauver : car il n’y a pas moins de lâcheté, lorsqu’on n’a rien à se reprocher, à sortir à regret de la vie par la crainte d’une faction contraire ou d’une puissance supérieure, qu’à y rester avec déshonneur.

Dans l’île de Rhodes, dans celle de Cos et dans plusieurs autres villes, quelques-uns, affectionnés pour Persée, avaient la hardiesse de parler ouvertement pour les Macédoniens et contre les Romains, et de solliciter leur nation à se joindre à Persée, mais ils ne pouvaient les amener à ce sentiment. Les plus distingués d’entre eux étaient, dans l’île de Cos, Hippocrite et Diomédon son frère, et, dans celle de Rhodes, Dinon et Polyarate. Mais qui pourrait ne pas blâmer le procédé de ces magistrats ? Toute leur nation savait ce qu’ils avaient fait, ce qu’ils avaient dit ; elle avait vu les lettres, tant celles écrites à Persée que celles qu’ils avaient reçues de ce prince et qui avaient été interceptées ; elle connaissait les messagers envoyés de part et d’autre, et qui avaient été arrêtés. Malgré des moyens de conviction si puissans, ils ne purent gagner sur eux de céder à la fortune et de quitter la vie : ils s’opiniâtrèrent à soutenir qu’ils n’étaient pas coupables. Que leur a produit cette obstination à conserver leur vie contre toute apparence ? Toute la gloire qu’ils s’étaient acquise par le courage et la constance qu’on leur croyait s’est évanouie, et ils sont tombés dans un mépris qui n’a pas même laissé lieu à la compassion. Convaincus en face par ceux même qu’ils avaient employés, ils passèrent non-seulement pour malheureux, mais encore pour d’impudens menteurs. Thoas, un de ceux qu’ils avaient envoyés en Macédoine, agité par sa conscience, se retira à Cnide après la défaite de Persée. Mis en prison par les Cnidiens, il fut réclamé par les Rhodiens et amené à Rhodes. Là, dans la question qu’on lui donna, il avoua tout ce que portaient les lettres de ces magistrats à Persée, de Persée à ces magistrats. Il est surprenant que Dinon, malgré cela, ait aimé à vivre jusqu’à souffrir cette infamie.

Polyarate porta encore plus loin l’insolence et la lâcheté. Popilius avait mandé à Ptolémée de le faire partir pour Rome. Par respect pour la patrie et par déférence pour Polyarate qui demandait d’aller à Rhodes, le roi d’Égypte aima mieux l’y envoyer qu’à Rome. On lui donna un vaisseau, et il partit sous la garde d’un homme de la cour nommé Démétrius, et en même temps le roi écrivit aux Rhodiens pour leur donner avis du départ de l’accusé. Polyarate, abordé à Phasélis, sur je ne sais quelle pensée qu’il roulait dans son esprit, se couvrit la tête de verveine, et