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César.

s’étendre, et de porter aisément la guerre chez leurs voisins ; ce qui affligeait beaucoup ce peuple guerrier. Eu égard à leur multitude et à la gloire qu’ils s’étaient acquise à la guerre par leur bravoure, ils croyaient posséder un terrain trop resserré. En effet, leur pays n’a que soixante lieues de long et quarante-cinq de large.

3. Touchés de ces raisons, et entraînés par l’autorité d’Orgétorix, ils donnent ordre à tout ce qui est nécessaire pour leur départ, font grande provision de chariots et de bêtes de somme, ensemencent toutes leurs terres, pour ne pas manquer de vivres dans leur voyage, et renouvellent la paix et les alliances avec leurs voisins. Ils crurent que deux ans leur suffiraient pour ces préparatifs, et réglèrent leur départ pour le troisième. Pour l’exécution de ce dessein, ils font choix d’Orgétorix. Celui-ci s’étant fait députer vers les états voisins, persuade à Casticus, fils de Catamantalède, Franc-Comtois, dont le père avait régné sur ce pays pendant long-temps, et qui avait été honoré du titre d’ami du peuple romain, de s’en faire roi, comme son père l’avait été. Il donne le même conseil à Dumnorix d’Autun, frère de Divitiacus, qui tenait alors le premier rang dans sa province, et était fort aimé du peuple ; et il lui accorde sa fille en mariage. Il leur prouve la facilité du succès de leur entreprise, puisque, devenu roi des Suisses, les peuples les plus puissans de la Gaule, il les aiderait de ses troupes et de son crédit. Ils font donc ensemble une ligue, persuadés qu’après avoir usurpé chacun la domination de leur pays, il leur sera facile, avec les forces réunies de trois nations si puissantes, d’être les maîtres de toute la Gaule.

4. Les Suisses, avertis des desseins d’Orgétorix, se saisissent de lui, le mettent en prison, et de là l’obligent, selon la coutume, à se justifier. Le feu devait être la peine de son crime. Le jour venu qu’il devait rendre raison de sa conduite, il assemble jusqu’à dix mille des siens, sans compter un grand nombre de vassaux et de gens qui lui étaient attachés, parce qu’ils étaient ses débiteurs : se voyant ainsi soutenu, il refuse de répondre. Les Suisses irrités de ce refus, se mettent en devoir de le forcer à obéir, et pour cela le magistrat lève des troupes de tous côtés, lorsque sur ces entrefaites Orgétorix meurt, non sans soupçon de s’être lui-même donné la mort.

5. Cet événement ne détourna point les Suisses du projet qu’ils avaient formé de sortir de leur pays, et, dès qu’ils se crurent en état de partir, ils brûlèrent toutes leurs villes au nombre de douze, quatre cents villages, leurs maisons et tout le blé qu’ils ne devaient pas emporter : ils voulaient par-là s’ôter tout espoir de retour, et être plus disposés à surmonter toutes les difficultés qui pourraient se rencontrer dans leur voyage ; ils avaient pris chacun des vivres pour trois mois. Ils engagent ceux de Bâle, de Dutlingen et du Brisgau, leurs voisins, à suivre leur exemple, après avoir pris les mêmes précautions : les Boïes qui avaient passé le Rhin, et s’étaient établis dans la Bavière, après s’être rendus maîtres de sa capitale, sont reçus dans leur association, et se joignent à eux.

6. Pour sortir de leur pays il n’y avait que deux chemins : l’un par la Franche-Comté, étroit et difficile, entre le Rhône et le mont Jura, où à peine un chariot pouvait passer ; il était d’ailleurs commandé par cette haute montagne, de sorte que peu de monde