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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

au travail, aux barricades obscures. Le vrai drame des conseils de guerre n’est pas dans ces séances d’apparat où accusés, tribunal, avocats composèrent leur figure devant le public, mais dans ces salles désertes qui virent seules le malheureux, en face d’un tribunal inexorable comme le chassepot. Combien des humbles défenseurs de la Commune tinrent la tête autrement fière que les chefs, et dont personne ne redira l’héroïsme. Quand on sait les insolences, les injures, l’argumentation grotesque des juges en évidence, on devine de quelles ignominies furent abreuvés dans l’ombre de ces prévôtés soi-disant légales les accusés sans renom. Qui vengera ces hécatombes d’inconnus exécutés dans le silence comme les derniers combattants du Père-Lachaise dans l’obscurité de la nuit.

Les journaux n’ont pas laissé trace de leurs causes ; mais à défaut du nom des victimes, l’histoire connaît celui de quelques juges.

En 1795, après Quiberon, il fallut pour composer les conseils de guerre qui devaient juger les Vendéens menacer de mort les officiers de la République. Et cependant, ces Vendéens avaient, sous les canons, avec des armes anglaises, frappé dans le dos la patrie que les coalisés attaquaient en face. En 1871, les officiers de Bazaine briguèrent l’honneur de juger ce Paris qui avait été le boulevard de l’honneur national. Pendant de longs mois, quinze cent neuf militaires dont 14 généraux, 266 colonels et lieutenants-colonels, 284 commandants furent improvisés présidents, juges et commissaires. Comment choisir dans ce triage de bestialités ? Prendre au hasard quelques présidents, Merlin, Boisdenemetz, Jobey, Delaporte, Dulac, Barthel, Donnat, Aubert, c’est faire injustice à cent autres.

On a vu Merlin et Boisdenemetz. Le colonel Delaporte, vieux chat-tigre, usé, malade, ne revivait qu’après une condamnation à mort. Ce fut lui qui en prononça le plus grand nombre, aidé par le greffier Duplan qui préparait les jugements à l’avance et faisait après coup les faux les plus impudents sur les minutes. Jobey avait, disait-on, perdu son fils dans la lutte contre la Commune. Aussi, comme il se vengeait ! Son petit œil plissé guettait l’angoisse sur la figure du