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furieuse malédiction. De tous les points du théâtre, les fusillés penchent sur le parterre, leurs doigts décharnés, leurs faces trouées, leurs guenilles putrides. Leurs bras semblent s’allonger et vont saisir les députés. Alors, les sept cents misérables retrouvent dans leur épouvante un reste de vigueur et fuient vers toutes les issues.

Toutes les issues sont bouchées. Les trente mille morts de Mai engorgent les couloirs, les antichambres, les pas-perdus. Là et au dehors leur foule grouillante entoure l’édifice d’un flot noir qui se perd dans nuit. Ils veulent, eux aussi, assister à la séance, et ils pressent les murs à les faire éclater. Les hommes, les femmes, les enfants, crient, s’appellent et leur rugissement vient rejoindre celui de l’intérieur. Les députés alors reculent et s’efforcent de rentrer. Mais les fusillés des tribunes ont envahi la salle et les pressent par derrière. Et les sept cents restent enfermés, entre ces vagues implacables.

Tout à coup tout se tait. Le silence tombe subitement, plus lugubre mille fois que les hurlements de ces trente mille gosiers. Cette masse reste un instant immobile, puis elle s’ébranle et se met en marche à intervalles réguliers. Quel mot d’ordre tout puissant, quel chef mystérieux lui commande ! Bientôt sous les rayons de la lune qui se lève, elle s’allonge comme un