Page:Lissagaray - La Vision de Versailles.djvu/9

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Au même instant le gaz jaillit de tous les candélabres et montre un spectacle sans pareil. Toutes ces faces qui regardent sont décomposées par la terreur, les yeux horriblement dilatés, les bouches tordues et grimaçantes ; les cheveux se dressent sur les têtes tendues. Au banc des ministres, Thiers à demi renversé en arrière, étend devant lui ses doigts crispés. Un silence épouvantable s’est fait subitement, semblable à ces silences de mort qui suivent les agonies violentes : de temps en temps, quelque corps tombe avec un bruit sourd, comme les branches mortes dans la silencieuse solitude des forêts.

Ils sont là, appuyant leurs mains sur les rebords de la loge, en face du président. La clarté du gaz frappe en plein leurs visages. Bien peu de ces députés les ont vus, et cependant si ces lèvres pâles pouvaient se refermer, ces langues sèches articuler un son, de toutes parts elles nommeraient :

Ferré… Crémieux… Bourgeois… Rossel… Genton… Cerisier… Herpin-Lacroix… Beaudoin… et les autres… car ils sont tous là, les fusillés de la Commission des Grâces, debout, les yeux fixes et vivants. Ferré, aux traits de marbre, avec sa redingote noire trouée au flanc et dans le haut, son lorgnon qu’il rajusta devant les soldats ; ses camarades avec leur tenue de supplice, tunique, blouse ou habit, pourris par la sé-