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COMPLÉMENT DE LA PRÉFACE. xli

gorie les noms latins qui, en changeant de cas, ne changent pas d'accent, il est vrai, mais prennent une syllabe de plus, dont l'effet se fait sentir dans le français : hom, home répondant au latin hómo, hóminem ; cuens ou cons, comte, répondant au latin cómes, cómitem, etc.

Voici le paradigme :

1re catégorie des noms masculins.

Singulier Pluriel.
Nom. li emperere. li empereor.
Rég le empereor. les empereors.

Pour la seconde catégorie, le nominatif se marque par une s qui provient de l's du nominatif de la seconde déclinaison latine, et le régime par le thème du mot sans l's : li chevals (caballus) ou chevaus ou chevax (car les finales als, aus, ax sont grammaticalement équivalentes, sans doute parce qu'elles l'étaient dans la prononciation), le cheval (caballum) ; li chevels ou cheveus (capillus), le chevel (capillum) ; li fils (filius), le fil (filium), etc. Le neutre latin s'étant perdu dans les langues romanes, les noms neutres de la deuxième déclinaison furent traités comme les noms masculins : li bras, le brac (brachium). Enfin, la règle de l's se généralisant, on la donna, pour distinguer du régime le nominatif, à des mots qui n'appartenaient pas à la deuxième déclinaison : li rois, le roi ; li chiens, le chien ; li airs, le air ; la maisons, la maison ; la riens (du latin rem), la rien ; li dormirs, le dormir, etc. Il arriva même, l'esprit de régularité grammaticale s'étendant, que cette s caractéristique du nominatif en une certaine catégorie fut introduite en l'autre catégorie qui n'en avait pas besoin ; et dans un certain nombre de manuscrits on trouve, ce qui d'ailleurs est moins bon : li empereres, li doneres, li enfes, li abes, li homs, etc.

Dans les noms de la deuxième déclinaison latine, le pluriel étant en i, par exemple caballi, et le régime avec une s, caballos, la langue d'oïl représenta exactement cette formation : li cheval, les chevals ou chevaus ou chevax (on voit d'où vient notre pluriel chevaux). De la sorte, le pluriel se trouve reproduire inversement le singulier, ayant pour nominatif la forme du régime du singulier, et pour régime la forme du nominatif. Dans l'autre catégorie de noms, le latin étant imperatores, imperatoribus, la langue aurait dû dire : li empereors, les empereors ; mais l'influence de l'autre catégorie se fit sentir, et le nominatif pluriel, là aussi, resta semblable au régime singulier ; de sorte que le tout devint : li empereor, les empereors ; li enfant, les enfans ; li abé, les abés ; li home, les homes, etc.

Voici le paradigme :

2e catégorie des noms masculins.

Singulier. Pluriel.
Nom. li chevals. Li cheval.
Rég. le cheval. les chevals.

Les noms féminins à terminaison masculine, comme maison, cité, salut, etc. suivirent la règle commune de l's. Quant aux noms féminins à terminaison féminine, c'est-à-dire ceux qui répondent aux noms de la première déclinaison latine, la règle voulait, au singulier, la rose, pour les deux cas, répondant à rosa, rosam ; au pluriel, les rose (sans s) au nominatif, et les roses au régime, répondant à rosæ, rosas ; cela se trouve en effet dans quelques manuscrits. Mais l'usage prévalut de traiter ce genre de mots au pluriel comme au singulier, c'est-à-dire de ne leur donner qu'une terminaison pour les deux cas ; cette terminaison fut l's : les roses, au nominatif comme au régime.

Pourvue ainsi de deux cas, la langue eut une syntaxe qui, sans être celle de la latinité, ne fut pas non plus celle du français moderne. Dans les emplois où un mot était sujet ou attribut appartenant au sujet, on lui donna la forme du nominatif ; dans ceux où il était complément soit d'un verbe actif, soit d'un verbe neutre, soit d'une préposition, soit d'un autre substantif, on lui donna la forme du régime : la fille le roi, la fille du roi ; li chevals l'empereor, le cheval de l'empereur ; plaire le seigneur, plaire au seigneur ; li brans Charlon et li Rolant, l'épée de Charles et celle de Roland. Un souvenir de ces constructions s'est conservé jusqu'à nous dans fête-Dieu, hôtel-Dieu.

Les adjectifs présentaient une particularité : ceux qui, en latin, avaient une même terminaison pour le masculin et le féminin, n'en avaient non plus qu'une seule dans le français. Ainsi, legalis ayant donné loial, on disait uns hom loials et une femme loials, au nominatif ; un home loial et une femme loial, au régime. Plus tard, les adjectifs qui, venant des adjectifs latins en us, a, um, changent de finale pour le féminin, tels que bon, bonne, vrai, vraie, etc. étant les plus nombreux, il se créa une tendance à l'uniformité qui l'emporta sur la règle d'origine, et l'on finit par soumettre tous les adjectifs, quelle qu'en fût la provenance, à la même flexion, et par écrire loyale au féminin. Mais, quand on rencontre les textes où l'accord déterminé par le latin est observé, il ne faut pas se laisser tromper par l'usage moderne et prendre l'usage ancien pour une infraction à la grammaire. Au contraire, l'infraction est dans l'usage moderne et la correction dans cet usage ancien, dont nous avons gardé grand mère, qui serait mieux écrit grand mère, et quelques autres

A la règle des adjectifs tient de très près celle de la formation des adverbes en ment. Les langues romanes laissèrent complètement tomber les adverbes latins en ter, comme prudenter, prudemment, et en e, comme male, malement. Ains obligées d'inventer, elles créèrent une combinaison nouvelle qui prévalut non-seulement dans le français, mais dans le provençal, l'espagnol et l'italien ; ce fut de prendre le substantif latin mens, mentis, qui signifie esprit, de lui attribuer le sens de façon, manière, et d'en faire avec l'adjectif un composé organique ayant l'emploi d'adverbe. Cette combinaison implique des conditions grammaticales qui furent exactement remplies. Le mot mens étant féminin, il fallut que l'adjectif qui entrait dans cette composition, s'y accordât ; cela fut fait, et l'on dit alors, comme nous disons encore, bonnement, saintement, hautement ; on dit vraiement, hardiement, etc. (ces derniers, nous les avons contractés en vraiment, hardiment, etc.) ; on dit loialment, que nous avons changé en loyalement quand les adjectifs de ce genre prirent l'e au féminin ; on dit prudemment, l'adjectif prudent


DICT. DE LA LANGUE FRANÇAISE. I. f