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L'ILLUSTRATION

ment. Mais ce fut court. Pentfield revint vers son ami et posa sur ses épaules deux mains brûlées par les intempéries boréales, mais de forme aristocratique.

— Allons, lui dit-il en le regardant dans les yeux, ne protestez pas, Corry ; je devine tout ce que vous pensez, à cette minute. Que vous resteriez bien à ma place et me laisseriez partir, hein ? Oui… ne dites rien. Vous avez vos vieux parents à visiter à Detroit et cela règle la question. De plus, vous pouvez faire pour moi exactement ce que j’aurais voulu faire moi-même si le sort m’avait désigné…

Dans le regard des deux hommes un éclair s’échangea. Hutchinson souriait.

— Exactement, dit Pentfield, c’est cela… Vous la ramènerez avec vous, sans autre cérémonie. Nous nous marierons à Dawson, voilà tout. C’est évidemment moins « select » que San-Francisco, mais…

— Un instant ! interrompit Corry Hutchinson. Je n’y avais pas songé… Sera-t-il très convenable que je l’amène, comme cela, dans ce camp ?… Nous ne sommes pas frère et sœur ; je ne l’ai jamais vue. Et de voyager ensemble… Naturellement, je suis un homme d’honneur ; ensuite, j’ose le croire, votre meilleur ami. Mais, enfin… les gens sont si stupides…

Ici, Pentfield prononça un terrible juron signifiant — au moins — qu’il avait autant souci de l’opinion des gens que de ce qui se passait chez le diable.

— C’est fort joli, Lawrence, et tous mes compliments ! Mais si vous vouliez être un peu plus civil, et me faire la faveur de me laisser parler en paix un moment, vous apprendriez que la chose la plus plausible en même temps que la plus loyale que je puisse faire en une telle occurrence, c’est vous envoyer au Sud cette année. L’année prochaine est seulement à un an de distance, comme on dit, et alors je pourrai prendre l’essor, à mon tour.

— Je ne le veux pas, Corry, mon cher ami. C’est catégorique. Il est inutile que vous insistiez. Je rougirais de honte à chaque fois que je penserais à vous, trimant comme un mercenaire, ici, à ma place !

Soudain il eut un petit sursaut du corps comme un homme que vient de frapper une lumineuse idée. Il extirpa de sa couchette, après en avoir bousculé les couvertures et les peaux de loup, un vieux bloc-notes et quelques enveloppes froissées. Puis il prit une plume et un encrier sur une étagère et, s’asseyant à la table, écrivit une dizaine de lignes rapides.

— Voici qui simplifie tout, fit-il. Remettez cette lettre à son adresse.

Hutchinson prit la feuille ouverte et lut chaque mot avec soin.

— Comment savez-vous que son frère consentira à l’accompagner dans ce dur voyage ? demanda-t-il.

— Oh ! il le fera pour moi, — et pour sa sœur, affirma Pentfield. Vous savez, c’est un tenderfoot, un peu nigaud et timide, et je ne l’aurais pas confiée à lui seul. Mais, avec vous comme chef de route, je sais que tout ira en fort beau style. Donc, pour commencer, vous irez la rencontrer et la préparer à ce petit événement de sa vie. Ensuite, vous partirez d’un pied leste chez votre maman, dans le Michigan ; et, quand vous en reviendrez, la sainte famille sera prête à prendre le paquebot. Vous l’aimerez comme votre sœur, du premier coup, vous verrez, je le sais ! Elle charme tous ceux qui l’approchent.

Ce disant, il tira sa montre, un chronomètre d’or portant ses initiales serties de pierres fines, et, d’une pression du pouce, ouvrit l’une des cuvettes. Une photographie de ton chaud en ornait le fond. Corry Hutchinson la contempla avec admiration, par-dessus l’épaule de Pentfield.

— Elle se nomme Mabel, dit celui-ci, d’une voix lente. Aussitôt que vous débarquerez à Frisco, hélez un cab et dites tout simplement au cabby. « Chez le juge Holmes, Myrdon Avenue. » Vous y serez mené directement… Et, pendant que j’y pense, continua Lawrence Pentfield, ce ne serait pas une idée si bête, qu’en pensez-vous, de m’acheter quelques petites choses…

— Un homme marié doit avoir son outfit, déclara sentencieusement Corry.