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LA FOI DES HOMMES

— Évidemment ! Il va nous falloir des nappes, des serviettes, des draps, des oreillers, que sais-je encore ! Enfin vous lui demanderez le détail… Aussi un beau service de porcelaine fine à filets d’or… Je vous ouvre un crédit d’un vingtaine de mille dollars. Prenez bien tout ce qu’il faut. Vous fréterez le tout par steamer et nous pourrions avoir cela à Dawson, en juillet prochain, par les steamboats de rivière… À moins que vous ne voyiez intérêt à ce que tout le lot passe par la Behring ?… Ah ! et puis, qu’est-ce que vous diriez d’un piano ?

Hutchinson trouva que c’était indispensable. Ses appréhensions s’étaient évanouies et il s’échauffait, tout à l’honneur de sa mission.

— Tonnerre ! Lawrence, s’exclama-t-il, comme tous deux se levaient, les recommandations faites, je vous amènerai cette petite « mistress Pentfield » avec le confort d’un limited de luxe ! Elle ne souffrira de rien. Dès que nous aurons touché l’Alaska, je serai le chef cuisinier ; je m’occuperai des chiens, des traîneaux ; tout ce que son frère aura à faire sera de lui tenir compagnie et me signaler ce que j’aurai pu omettre. Je ne crois pas, toutefois, que j’oublierai beaucoup de choses, c’est moi qui vous le dis !

Le lendemain, Lawrence Pentfield serrait avec effusion les mains de son ami. Il le vit disparaître dans le matin gris, derrière ses chiens, vêtu de fourrures, tenant les deux courts brancards du traîneau à la façon d’une charrue, sautant, d’un balancement du corps, sur les grosses mottes de neige. Un dernier claquement de fouet sonna dans la distance et la forme d’Hutchinson s’évanouit.

Pentfield retourna seul à sa mine qui lui apparut plus que jamais noire et triste. Il soupira à la contemplation de l’implacable hiver abattu sur toutes choses. Il avait devant lui beaucoup de travail, des hommes à surveiller, de minutieuses recherches à diriger vers la problématique « veine payante », mais son cœur n’était pas à la tâche. Son cœur, envahi par la sombre nuit arctique, ne connut un peu d’aise que lorsque quatre charpentiers eurent posé, sur un petit tertre élevé, en retrait des travaux, les premiers troncs de mélèze destinés aux murailles d’une « maison confortable » qui attendrait la venue de Mabel. Son contremaître et lui avaient tracé les plans de l’habitation ; elle comportait trois pièces spacieuses, un « parlour », la cuisine-salle à manger et la chambre, qui serait tendue de cotonnade et tapissée de fourrures rares. Chaque tronc devait être soigneusement équarri, avec des encoches bien exactes, afin d’éviter toute infiltration d’air. À chacun des hommes employés à la construction, Lawrence allouait un salaire de quinze dollars par jour et rien ne pouvait être achevé avant deux mois, à cause de la neige, des intempéries et de la difficulté de trouver des arbres sains et droits qu’il fallait aller abattre et ébrancher, haut dans la montagne.

Chaque matin, à son réveil, Pentfield rayait d’un trait de crayon le jour qui venait de poindre, calculant mieux ainsi le temps qui le séparait du retour d’Hutchinson.

Corry avait promis d’être là avant les dernières glaces de printemps. C’était loin encore…

La maison fut terminée un dimanche matin. Son plancher neuf, l’écorce pelée des cloisons, l’emplissaient d’une senteur douce et fine. Pentfield pensa que Mabel aimerait cette odeur de pin balsamique. Il assujettit un gros cadenas à la porte. Nul autre que lui n’avait le droit d’entrer là. Il y passait des heures et redescendait à la mine avec des joues rouges et un regard brillant de rêves encore vivaces.

Vers le milieu de décembre, Pentfield reçut une lettre de Corry Hutchinson. Celui-ci venait de visiter Mabel Holmes. Elle était bien digne d’être la femme de Lawrence, écrivait-il. C’était une créature charmante, ses parents fort aimables, etc. Cette lettre rendit Lawrence heureux pour plusieurs semaines. En janvier, deux autres lettres lui arrivèrent ensemble à cause, sans doute, de la pénurie de traîneaux