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BELLIOU-LA-FUMÉE

— Vas-y, le Courtaud ! cria la Fumée en s’attaquant aux mocassins déjà gelés. Compte trois cent trente mètres et place les deux jalons centraux. Nous pourrons fixer plus tard ceux des coins. »

La Fumée trancha les lacets et scia le cuir des mocassins. Ils étaient tellement raidis qu’ils craquaient et cassaient sous la lame. Les chaussettes indiennes et les épais bas de laine n’étaient que des enveloppes de glace. Ses pieds et ses mollets semblaient enfermés dans de la tôle.

« Souffrez-vous ? lui demanda-t-il sans interrompre son travail.

— J’ai les pieds pas mal engourdis. Je ne puis remuer ni sentir mes orteils. Mais tout ira bien. Le feu brûle magnifiquement. Faites attention de ne pas vous geler les mains vous-même. Elles doivent être paralysées à voir la façon dont vous tâtonnez. »

Il se reganta et pendant près d’une minute se battit furieusement les flancs. Dès qu’il sentit le picotement de la circulation, il ôta ses moufles et se remit à arracher, scier et taillader les vêtements gelés. Bientôt apparut la peau blanche d’un pied, puis celle de l’autre, et toute cette chair délicate se trouva exposée à la morsure d’un froid de vingt et un degrés au-dessous de zéro. Puis vinrent les frictions avec de la neige. Il s’en acquitta avec une vigueur et une rudesse cruelles, jusqu’au moment où elle se contracta, se tordit, et réussit enfin à remuer les orteils en criant joyeusement qu’il lui faisait mal.

S’aidant de ses mains, et à moitié traînée par lui, elle s’approcha du feu. Il lui installa les pieds sur la couverture devant la flambée salutaire.

« Il faudra que vous en preniez soin pendant quelque temps », recommanda-t-il.