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BELLIOU-LA-FUMÉE

Cela était un avant-goût de ce qui se passerait quand les coureurs atteindraient leurs traîneaux. Ils arrivaient en foule de l’autre rive et se jetaient en pleine mêlée. Ils s’accrochaient au talus comme des essaims, et l’impatience de leurs concurrents les en arrachait par paquets. Les coups pleuvaient et ceux qui avaient du souffle à perdre hoquetaient des blasphèmes. La Fumée, dont l’esprit était curieusement hanté par le visage de Joy Gastell, faisait des vœux pour que les maillets n’entrassent pas en action. Renversé, piétiné, cherchant à tâtons ses jalons égarés dans la neige, il finit par se tirer de la bagarre et attaqua le talus un peu plus loin. D’autres en faisaient autant, et ce fut une chance pour lui que tant d’individus l’eussent précédé dans cette course vers le coin Nord ou Est.

En descendant vers le quatrième coin il buta à mi-route, s’étala dans une longue glissade et perdit le jalon qui lui restait. Pendant cinq minutes il tâtonna avant de le retrouver, et sans cesse des coureurs haletants le dépassaient. Mais en allant du dernier coin à la rivière il commença à rattraper des hommes épuisés par cette galopade de plus d’un kilomètre et demi.

Sur la rivière même un asile de fous semblait lâché. Une douzaine de traîneaux étaient renversés et empilés les uns sur les autres, et une centaine de chiens agrippés dans un corps à corps féroce. Parmi eux se démenaient des hommes, arrachant les animaux de la mêlée ou les séparant à coups de gourdins. La Fumée, dans le rapide coup d’œil qu’il jeta sur cette scène, se demanda s’il avait jamais vu un dessin de Doré qui y ressemblât.

Bondissant sur la rive pour sortir du passage encombré, il gagna le terrain ferme de la piste et pro-