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BELLIOU-LA-FUMÉE

À Windy Arm, Stine eut la fantaisie de reprendre le gouvernail ; en moins d’une heure, la barque s’échouait sous le vent et sur une rive battue par les vagues. Deux jours furent perdus là à faire des réparations. Le matin du départ, quand ils descendirent pour s’embarquer, la proue et la poupe portaient en grosses lettres ces deux mots tracés au charbon : Le Chéchaquo. Kit fit une joyeuse grimace en reconnaissant l’à-propos du brocard.

« Euh ! répondit le Courtaud, lorsque Stine l’accusa du méfait. Pour sûr je sais lire et écrire, et je n’ignore pas que Chéchaquo veut dire pied-tendre. Mais mon instruction n’a pas été poussée assez loin pour m’apprendre à épeler des casses-mâchoires comme ça. »

Les deux patrons poignardèrent Kit de regards aigus, car l’épithète les atteignait au vif ; et lui se garda bien de dire que la veille au soir le Courtaud lui avait demandé précisément l’orthographe du mot.

« Le coup a porté presque aussi bien que votre boniment à la viande d’ours », lui confia plus tard le Courtaud.

Kit poussa une sorte de gloussement. Au fur et à mesure qu’il découvrait ses propres capacités, il désapprouvait de plus en plus la conduite des deux maîtres. Elle lui inspirait plus de répugnance que de colère, bien qu’il fût constamment irrité. Il avait goûté à la viande et y avait pris goût ; mais eux lui enseignaient comment il ne faut pas la manger. En son for intérieur, il remerciait Dieu de ne pas leur ressembler. Il en vint à ressentir une antipathie qui confinait à la haine. Leur manière de tirer au flanc l’horripilait moins que leur incurable incapacité de travail. Quelque part en lui-même s’affirmaient le vieil Isaac et tous les autres ancêtres de la dure famille Belliou.