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BELLIOU-LA-FUMÉE

rent renoncer à l’idée de ramener le canot au rivage, et, à travers l’obscurité, le courant les emporta en dérive.

« Et si nous dépassons Dawson ? demanda le Courtaud.

— Nous reviendrons à pied, répondit Kit, à moins que nous ne soyons écrasés dans un tassement de glaçons. »

Le ciel était pur, et à la froide clarté des étoiles ils entrevoyaient par instants les contours imprécis de montagnes des deux côtés du fleuve. Vers onze heures s’éleva en aval un grondement. Leur vitesse se ralentit et autour d’eux les glaçons commencèrent à craquer et à se broyer mutuellement. Le fleuve se tassait. Un glaçon, soulevé au-dessus des autres, glissa en avalanche sur le leur et emporta tout un côté de l’embarcation. Soutenue par son propre glaçon, elle ne sombra pas, mais ils purent entrevoir le sombre abîme tourbillonnant à trente centimètres de distance. Puis tout demeura immobile. Au bout d’une demi-heure, le fleuve entier se ressaisit et se remit en marche. Il progressa pendant une heure, avant d’être arrêté par un nouveau tassement. Il repartit dans une course rapide, affolée, et au milieu d’un fracas assourdissant. Soudain ils aperçurent des lumières sur la rive, et comme ils arrivaient à leur hauteur, le Yukon renonça à tout mouvement et pour six mois cessa d’exister en tant que fleuve. Sur la grève de Dawson, les curieux, assemblés pour voir geler le fleuve, entendirent résonner dans les ténèbres le chant de guerre de Courtaud :


Pareils aux marins de l’antique Argo,
Nous nous embarquons sur notre cargo
Pour aller rafler la toison dorée !
Cocorico ho ! Cocorico hé !