Page:London - Belliou la fumée, trad. Postif, 1941.djvu/93

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
87
BELLIOU-LA-FUMÉE

qu’à battre le Courtaud. Après tout, se disait-il, ce n’est pas l’enjeu qui compte, mais bien le jeu lui-même. Ses muscles et son esprit, son énergie et son âme se trouvaient provoqués dans cette lutte avec un homme qui n’avait jamais pâli sur les livres, qui ne savait pas distinguer un ragtime d’un grand opéra, ni une engelure d’une épopée.

« Le Courtaud, je te dame le pion jusqu’à la gauche. J’ai reconstruit toutes les cellules de mon corps depuis mon débarquement sur la grève de Dyea. Ma viande est filandreuse comme de la corde à fouet, âcre et tenace comme la morsure d’un serpent à sonnettes. Voilà quelques mois, j’aurais voulu me taper dans le dos pour exprimer des choses pareilles, mais je n’aurais pu les mettre sur le papier. Il me fallait les éprouver d’abord, et maintenant que je les vis, je n’ai pas besoin de les écrire. Je suis en vrai tissu, rude et hérissé, et pas un montagnard ne peut se frotter à moi sans que je lui rende sa frottée avec usure. Maintenant, passe devant et mène le train pendant une demi-heure. Quand tu auras fait de ton mieux, je prendrai la tête et je t’offrirai une demi-heure de mieux encore.

— Euh ! ricana le Courtaud de bonne humeur. Et dire que si on lui pressait le nez, il en sortirait encore du lait ! Ôte-toi de mon chemin et laisse ton père t’apprendre à marcher. »

De demi-heure en demi-heure, chacun servait d’entraîneur à son tour. Ils parlaient peu. L’exercice les tenait chauds, bien que leur haleine gelât sur leurs visages, des lèvres au menton. Le froid était si intense qu’ils se frictionnaient presque continuellement le nez et les joues avec leurs moufles ; quelques minutes de relâche suffisaient pour que la chair s’engourdît, et