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Page:London - Contes des mers du Sud, trad. Postif et Gruyer, 1948.djvu/75

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demeurais dans ce tripot jusqu’à des heures indues.

Mais, quelle que fût l’heure de ma sortie, Otoo m’attendait dehors, devant la porte, afin de veiller sur mon retour et de me ramener en sécurité au logis.

Je commençai par en sourire. Puis je le grondai. Puis, je lui déclarai nettement que je n’avais aucun besoin d’un père nourricier pour me garder.

Le lendemain, je ne trouvai plus Otoo devant la porte du club. Je pensai qu’il avait compris.

Mais la quinzaine ne s’était pas écoulée que je le découvris, de l’autre côté de la rue, se dissimulant dans l’ombre des manguiers. Et il continua, tout le long du chemin, sa surveillance invisible.

Que pouvais-je dire et faire ? Insensiblement, je pris sur moi de regagner mes pénates à une heure plus décente.

Durant les nuits d’orage, dans la pleine folie de la boisson et du jeu, la pensée me hantait d’Oloo qui, dehors, montait sa garde monotone et fidèle, sous les manguiers ruisselants. Et, tout honteux de moi-même, je levais le siège et partais.

En vérité, je vous le dis, il fit de moi un homme meilleur.

Le plus curieux est que, parmi ses frères de Bora-Bora, il était le seul qui eût refusé de se convertir. Comme ses ancêtres, il était obstinément demeuré un vil païen, qui ne s’occupait pas de ce qui se passait dans l’au-delà, mais qui, d’instinct, accomplissait son devoir sur la terre.

Sur ce terrain, il était imbattable et jouait franc jeu.